Bulletin célinien n°405
Sommaire :
- Lucette, entre toutes les femmes
– Céline et le Comité de Prévoyance et d’Action sociale
– Misère de la condition humaine chez Céline
– Galtier-Boissière
– Céline à Leningrad
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par Nicolas Bonnal
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Je ne les ouvre jamais mais depuis deux semaines les journaux en Espagne parlent très intelligemment de trois choses : la tyrannie de Poutine, qui n’en finira jamais (pauvre occident, que va-t-il faire, heureusement la bombe, heureusement l’OTAN, etc.) ; le changement climatique (il y a du vent et de la pluie, on est en mars…) et la grève féministe, qui permet de combattre enfin le nazisme masculin – on demande des budgets au gouvernement néocon local en ce sens.
Dans toutes ces histoires il ne s’agit que de racket.
On a évoqué le féminisme avec Nietzsche. On le relit :
« Il y a aujourd’hui, presque partout en Europe, une sensibilité et une irritabilité maladives pour la douleur et aussi une intempérance fâcheuse à se plaindre, une efféminisation qui voudrait se parer de religion et de fatras philosophique, pour se donner plus d’éclat — il y a un véritable culte de la douleur. »
Cette irritabilité se reflète-t-elle dans notre obsession pour les conditions météo ?
Sur le changement climatique je me demandais depuis combien de temps on s’abrutit ainsi ; car aucun classique ne nous emmerdait avec. Tout apparaît semble-t-il au milieu du dix-neuvième siècle : la guerre de Crimée crée la science météorologique, et Baudelaire se plaint de son ciel bas et lourd qui baisse comme un couvercle…
On connaît mon goût pour la cuisinière (une femme géniale, qui ne connaît ni Louis-Philippe, ni république, ni Badinguet) et la correspondance de Flaubert. Je recommande le début des années 1850, qui est prodigieux (voyez ses lettres à Victor Hugo). Sur une petite tempête météo voici ce qu’il écrit notre analyse littéraire de la femme moderne :
12 juillet 1853 – Tu auras appris par les journaux, sans doute, la soignée grêle qui est tombée sur Rouen et alentours samedi dernier.
Désastre général, récoltes manquées, tous les carreaux des bourgeois cassés ; il y en a ici pour une centaine de francs au moins, et les vitriers de Rouen ont de suite profité de l’occasion (on se les arrache, les vitriers) pour hausser leur marchandise de 30 p 100. Ô humanité ! C’était très drôle comme ça tombait, et ce qu’il y a eu de lamentations et de gueulades était fort aussi. Ç’a été une symphonie de jérémiades, pendant deux jours, à rendre sec comme un caillou le cœur le plus sensible ! On a cru à Rouen à la fin du monde (textuel). Il y a eu des scènes d’un grotesque démesuré, et l’autorité mêlée là-dedans !
M le préfet, etc. »
Oui, l’administration française avec ses préfets et notre inféodation a certainement joué dans cette formation du caractère geignard et assisté – plus de lois et de taxes, et d’amendes et de menaces, pour le féminisme et la lutte contre le racisme et pour le socialisme, et tout le reste…
Flaubert poursuit, coquin, comme James Kunstler ou Dimitri Orlov aujourd’hui :
« Ce n’est pas sans un certain plaisir que j’ai contemplé mes espaliers détruits, toutes mes fleurs hachées en morceaux, le potager sens dessus dessous.
En contemplant tous ces petits arrangements factices de l’homme que cinq minutes de la nature ont suffi pour bousculer, j’admirais le vrai ordre se rétablissant dans le faux ordre. Ces choses tourmentées par nous, arbres taillés, fleurs qui poussent où elles ne veulent (pas), légumes d’autres pays, ont eu dans cette rebuffade atmosphérique une sorte de revanche… »
Et il est content (Philippe Muray était euphorique au moment de la tempête du siècle en l’an 2000) :
« Ah ! ah ! cette nature sur le dos de laquelle on monte et qu’on exploite si impitoyablement, qu’on enlaidit avec tant d’aplomb, que l’on méprise par de si beaux discours, à quelles fantaisies peu utilitaires elle s’abandonne quand la tentation lui en prend ! Cela est bon. On croit un peu trop généralement que le soleil n’a d’autre but ici−bas que de faire pousser les choux.
Il faut replacer de temps à autres le bon Dieu sur son piédestal. Aussi se charge−t−il de nous le rappeler en nous envoyant par−ci par−là quelque peste, choléra, bouleversement inattendu et autres manifestations de la Règle, à savoir le Mal − contingent qui n’est peut−être pas le Bien − nécessaire, mais qui est l’être enfin : chose que les – hommes voués au néant comprennent peu. »
Et Flaubert un peu plus loin souligne ce qui accompagne cette jérémiade climatique, savoir le règne des machines et la montée de notre stupidité :
14 août 1853 – « La cloche du paquebot du Havre sonne avec tant d’acharnement que je m’interromps. Quel boucan l’industrie cause dans le monde ! Comme la machine est une chose tapageuse ! à propos de l’industrie, as-tu réfléchi quelquefois à la quantité de professions bêtes qu’elle engendre et à la masse de stupidité qui, à la longue, doit en provenir ? Ce serait une effrayante statistique à faire ! »
Flaubert est un génie et prévoit donc les effets du taylorisme soixante-dix avant Charlot (un autre génie) :
« Qu’attendre d’une population comme celle de Manchester, qui passe sa vie à faire des épingles ? Et la confection d’une épingle exige cinq à six spécialités différentes ! Le travail se subdivisant, il se fait donc, à côté des machines, quantité d’hommes−machines. Quelle fonction que celle de placeur à un chemin de fer ! de metteur en bande dans une imprimerie ! etc., etc. Oui, l’humanité tourne au bête. Leconte a raison ; il nous a formulé cela d’une façon que je n’oublierai jamais. Les rêveurs du moyen âge étaient d’autres hommes que les actifs des temps modernes. »
Ici ce serait du Guénon, du Chesterton, du Bernanos : « Les rêveurs du moyen âge étaient d’autres hommes que les actifs des temps modernes. »
On comprend que pour fuir cette connerie il se soit voué au culte de l’art, quand il était encore possible (car comment faire connaître un Flaubert aujourd’hui s’il en existait un ???) :
« L’humanité nous hait, nous ne la servons pas et nous la haïssons, car elle nous blesse. Aimons-nous donc en l’art, comme les mystiques s’aiment en Dieu, et que tout pâlisse devant cet amour ! »
Enfin Flaubert avait compris que notre fin de l’histoire, comme je le dis toujours, durerait des siècles :
Je comprends depuis un an cette vieille croyance en la fin du monde que l’on avait au moyen âge, lors des époques sombres. Où se tourner pour trouver quelque chose de propre ? De quelque côté qu’on pose les pieds on marche sur la merde. Nous allons encore descendre longtemps dans cette latrine. »
Car qui pensait qu’après Hollande détesté, la multitude élirait son ministre de l’économie ?
Tout cela donne raison à sa cuisinière décidément :
« J’ai eu aujourd’hui un grand enseignement donné par ma cuisinière. Cette fille, qui a vingt-cinq ans et est Française, ne savait pas que Louis-Philippe n’était plus roi de France, qu’il y avait eu une république, etc. Tout cela ne l’intéresse pas (textuel). Et je me regarde comme un homme intelligent ! Mais je ne suis qu’un triple imbécile. C’est comme cette femme qu’il faut être. »
Sauf qu’aujourd’hui la brave fille serait abrutie par son smartphone et sa télé…
Nicolas Bonnal – Chroniques sur la fin de l’histoire
Flaubert – Correspondance, 1850-1854 (ebookslib.com)
Nietzsche – Par-delà le bien et le mal
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Bulletin célinien n°405
Sommaire :
- Lucette, entre toutes les femmes
– Céline et le Comité de Prévoyance et d’Action sociale
– Misère de la condition humaine chez Céline
– Galtier-Boissière
– Céline à Leningrad
Faut-il que la gloire posthume de Céline insupporte certains ! Dans un roman aussi pesant que touffu, Maxime Benoît-Jeannin raconte les liens professionnels et privés qui unirent, sous l’Occupation, deux personnalités aussi affirmées que Dominique Rolin et Jeanne Loviton à Robert Denoël. Céline, son auteur fétiche, apparaît à plusieurs reprises. Paranoïaque, veule et bien entendu partisan de l’extermination de la race élue ¹, c’est ainsi que ce romancier le dépeint sans nuance. En revanche, il a pour Sartre les yeux de Chimène, se gardant bien de rappeler que celui-ci se compromit avec un autre totalitarisme ². Et de dénoncer dans l’épilogue « un Sartre bashing frénétique qui touche tous les milieux » ainsi que « cette haine pathologique pour le philosophe français le plus important depuis Descartes [sic] ». Pour en arriver à déplorer que « du coup, la commémoration du centenaire de sa naissance se fit a minima. » La phrase qui suit est édifiante à souhait : « Parallèlement, la gloire de Céline monte encore en puissance, son lectorat ne cesse de grandir. » …Voilà qui est assurément insupportable.
Quant à ce roman, gageons qu’il découragera plus d’un lecteur s’intéressant à cette période. Tant de personnages défilent qu’on ne parvient à s’attacher à aucun d’entre eux. On a en outre l’impression que l’auteur a voulu y fourguer toute sa documentation. Elle est d’autant plus vaste qu’il l’a largement puisée sur un site internet en libre accès: celui qu’Henri Thyssens consacre depuis 2005 à Robert Denoël. Mais on est loin de l’élégance d’un Pierre Assouline qui, à la fin de son roman Sigmaringen, tint à citer ses sources. Le travail de Thyssens est ici sommairement mentionné au détour d’une page alors que, sans les recherches qu’il a accumulées pendant vingt ans, ce roman n’existerait tout simplement pas. Quant au chercheur il est qualifié d’« admirateur de Louis-Ferdinand Céline », ce qui, dans l’esprit de l’auteur, doit être un tantinet suspect.
Dans la presse Benoît-Jeannin se défend d’être manichéen mais le lecteur constate qu’il n’a que profond mépris pour tous les écrivains qui se sont engagés dans la voie de la Collaboration. C’est dire si l’on s’écarte du jugement d’un Malraux qui considérait Drieu comme « l’un des êtres les plus nobles qu’[il ait] rencontrés ». Ici, tous ceux qui étaient dans le mauvais camp sont jugés à l’aune de la même toise. C’est tellement plus simple ainsi.
Reste l’énigme du meurtre de Robert Denoël. L’auteur y voit la conséquence d’une altercation qui aurait mal tourné entre un résistant revenu des camps et Denoël qui lui aurait demandé son appui pour le procès dont il était menacé. Hypothèse qui paraît un peu alambiquée. Une seule chose est sûre : on n’a pas fini de gloser sur cette affaire vieille de plus d’un demi-siècle.
• Maxime BENOÎT-JEANNIN, Brouillards de guerre (roman), Éditions Samsa, 2017, 500 p. (26 €)
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Franck Buleux
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L’intérêt essentiel de cet essai est de souligner le fait, pour Drieu la Rochelle, de ne pas se satisfaire, comme les nationalistes français, de la victoire sur l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, qui s’est soldée par le Diktat de Versailles, en 1919. Au-delà de l’Europe exsangue, meurtrie par cette guerre civile européenne, Drieu la Rochelle nous propose une Europe digne de son passé, qui retrouve son Imperium.
L’expression « mesure » était faite pour choquer. Qui oserait « mesurer » la France éternelle, présente sur les cinq continents ? Le Normand Drieu la Rochelle rêve d’Empire mais a conscience de la faiblesse démographique française. Visionnaire lorsque l’auteur exprime cette nécessité d’union continentale, cet essai mérite d’être lu parce qu’il annonce (prématurément ? à tort ?) la fin des nations, alors que brille encore dans les yeux des Français, la victoire en trompe l’œil, selon l’auteur, de 1918. Une victoire certes, mais à quel prix ? Au prix d’une population dévastée sur un territoire, devenu un champ de bataille et de ruine, une Europe exsangue soumise à des traités qui, loin d’en satisfaire les parties, la renvoient vers d’autres interminables et sanglants conflits. Mais qui s’en soucie, en 1922 ?
C’est dans l’euphorie générale de la victoire, dans la germanophobie ambiante, que Drieu la Rochelle en appelle au dépassement de la notion de patrie. Sans nier cette réalité, « l’ère des patries n’est pas close » tient-il à préciser d’emblée, il ouvre l’avenir européen à celui des alliances entre États. Il constate notre faible démographie déjà, parle de « suicide » et ouvre les yeux, lucide, face à des mondes qui nous entourent, ces « énormes morceaux » d’Amérique et d’Asie, lire les États-Unis et l’Union soviétique. Supputant la fin des colonies, Drieu la Rochelle ne peut se représenter la France que dans le cadre d’une alliance continentale. Il évoque, en les appelant de ses vœux, ces futures unions entre patries comme ayant une « physionomie propre », qui « mêleront les traits des États »… Vaste débat qui sera largement repris lors de la construction européenne dans les années 1950, et bien au-delà.
Face à l’euphorie de l’éphémère victoire, cette alliance européenne (car il s’agit bien de cela) est une « question de vie ou de mort », selon l’auteur lui-même : ne pas aller vers cette union nous entraînerait inéluctablement et irrésistiblement vers d’autres conflits. Intégrer l’Allemagne, contre laquelle la France vient de combattre, avant que celle-ci ne se tourne vers d’autres alliances, plus à l’Est. N’oublions pas que l’Union soviétique est en train de se construire, à l’intérieur, comme une véritable fortification socialiste (et un modèle pour beaucoup !) et qu’en serait-il de nous, Français, si l’Europe centrale (Mitteleuropa) se tournait vers elle ? L’insularité britannique et la défaite allemande ne sont-ils pas des risques de division du Vieux Continent ? La perfide Albion tournée vers l’Amérique et l’Allemagne, humiliée par le traité de Versailles, lorgnant vers l’Empire communiste… Dans cette saisissante hypothèse, que resterait-il de la France éternelle ?
Anticipant les travaux de Carl Schmitt sur la distinction entre puissance maritime et puissance terrestre, Drieu la Rochelle rappelle le positionnement géographique central de l’Allemagne, qu’il situe « en pleine terre, en plein Europe ». En développant cet aspect d’union continentale, Drieu la Rochelle rêve de cet empire romain germanique disparu qui mobiliserait la jeunesse européenne.
Mais Drieu la Rochelle demeure d’un tempérament pessimiste. Il condamne les Français, en les dépeignant comme « résignés », s’attachant à une armée nationale alors que des transformations commencent à poindre à l’horizon du monde. C’est résolument vers l’Allemagne qu’il faut nous tourner, pense l’auteur, pour fonder l’Europe unique qu’il appelle de ses vœux et dont il aimerait voir la France fer de lance.
À défaut, Drieu la Rochelle, en visionnaire éclairé, s’interroge sur la Russie naissante qui se dresse « dans sa steppe » et « dont le mystère semblait plein de promesses ». La jeunesse du prolétariat russe préfigurerait-t-elle l’avenir ? S’interroge l’auteur, observant cette montée en puissance de l’Est face à l’Amérique, grand vainqueur économique du premier conflit mondial.
Pourtant, Drieu la Rochelle rejette ce qu’il appelle le parti de la Production, c’est-à-dire le parti de l’argent, celui qui domine l’Amérique mais il retrouve, dans le bolchevisme, cette même idée fondée sur le matérialisme, comme unique ressort de l’humanité.
Née sous les cendres de la Première Guerre mondiale, la Société des nations (SDN) semble préfigure, pour Drieu la Rochelle, une avancée vers cette union européenne face aux dangers qui s’annoncent. Il développera cette idée, lui “Le jeune Européen” (texte paru en 1927), dans” Genève ou Moscou”, paru en 1928. Ce choix, que l’on pressent déjà dans” Mesure de la Franc”e, ce choix « central » de l’Europe permettrait de résister aux deux impérialismes qui s’annoncent. Il entrevoit Genève (rappelons-le, c’est dans cette ville que siège, à l’époque, la SDN) comme capitale, pour résister d’abord à l’impérialisme américain (Les États-Unis ont refusé d’intégrer la SDN). Le second rempart possible contre l’hégémonie américaine serait le communisme, représenté par Moscou. Or, le rempart communiste ne représente qu’un simulacre, « l’ombre du capitalisme », symbolisant pour Drieu le triomphe de la Production et, au terme, celui de la mort. « Il faut faire l’Europe parce qu’il faut respirer quand on ne veut pas mourir. Il faut faire l’Europe à moins qu’on ne soit bolchevik d’extrême droite ou d’extrême gauche, à moins qu’on ne veuille laisser un grand bûcher s’amonceler sur lequel flambera, avant vingt ans, toute la civilisation, tout l’espoir, tout l’honneur humain. ». Dans les années vingt, si Drieu La Rochelle était encore hésitant sur sa voie politique, fréquentant les surréalistes et l’Action française, l’approche des années trente le fait sortir de sa réserve en choisissant l’Europe et martèle-t-il inexorablement face au monde, encore incrédule : « Si la capitale politique et économique des États-Unis d’Europe ne se fait pas, si Genève ne se fait pas, Moscou se fera.»
Ainsi, “Mesure de la France” préfigure d’autres écrits, considérés comme majeurs, de Drieu la Rochelle. Cet essai de 1922 annonce aussi son choix de l’Allemagne, non par idéologie, mais par qu’elle lui semble, à une époque incertaine, le meilleur rempart contre les impérialismes et le meilleur allié pour espérer, au-delà de la France seule, donner à l’Europe une place dans l’Histoire, celle qui lui revient.
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1913 : la France cède aux « douces romances » du pacifisme. Sous l’influence de l’intelligentsia parisienne, la jeunesse française se désintéresse de la guerre et des soldats. Contre le parti des intellectuels, Ernest Psichari, un jeune officier d’artillerie coloniale, publie son deuxième roman, un roman à thèse, dont le mot d’ordre est le « militarisme intégral ». Achevé sous la tente saharienne, L’appel des armes (1913) célèbre la figure du soldat, la beauté de l’action et de la force. Par le service des armes, il redevient possible de mener dans le monde une vie de grand style.
« Lorsque l’auteur de ce récit fit ses premières armes au service de la France, il lui sembla qu’il commençait une vie nouvelle. Il eut vraiment le sentiment de quitter la laideur du monde et d’accomplir comme la première étape d’une route qui devait le conduire vers de plus pures grandeurs. » Engagé à 20 ans, Ernest Psichari quitte avec enthousiasme la maison paternelle. Ce jeune intellectuel, petit-fils d’Ernest Renan, trouve dans la vie militaire une délivrance de la vie ordinaire qu’il mène à Paris. Admis dans l’artillerie coloniale, Psichari découvre la joie de l’action, et consacre près de cinq années de sa vie à l’Afrique. Au cours d’un « magnifique exil » en Mauritanie, il rédige L’appel des armes, un roman d’apprentissage dont la trame n’est pas sans rappeler le parcours du jeune écrivain.
Le héros de ce roman, Maurice Vincent, est un adolescent, fils d’un instituteur antimilitariste. Au contact de Timothée Nangès, capitaine dans l’artillerie coloniale, il trouve dans son cœur une vocation de soldat. Prenant « contre son père le parti de ses pères », il choisit le parti des hommes d’action et s’engage comme simple canonnier. Contre son père biologique, il se réfère désormais à une autre paternité, spirituelle, incarnée par ce soldat de l’armée coloniale. Les rapports entre les deux hommes sont désormais ceux de maître à disciple, d’initiateur à initié. L’adolescent embrasse une vie entièrement nouvelle, qui s’apparente à une seconde naissance.
Selon Psichari, les soldats sont les derniers représentants d’une idée, l’incarnation de l’action et de la force. À l’abri de toute compromission, de toute faiblesse, l’armée est le dernier rempart de la nation. Quelque direction que prenne le monde, il ne se passera pas des armes. Psichari rejoint en cela son ami Charles Péguy : « Que la Sorbonne le veuille ou non, c’est le soldat français qui lui mesure la terre. […] C’est le soldat français qui fait qu’on parle français à Paris » (L’Argent). Pour la nouvelle génération, l’armée est la meilleure école. Elle est l’héritière de la « grande œuvre romaine et française », le seul moyen d’échapper à son siècle et la société moderne. Elle est également l’objet d’un véritable mystique : sa mission est de « racheter la France par le sang ». Contre l’humanitarisme, contre le pacifisme, l’armée incarne la France éternelle, « fille aînée de la Gloire », « toujours guerrière et aventureuse », « toujours prête à se lancer dans une généreuse aventure […] s’il est de la gloire à glaner ».
Le jeune Maurice Vincent cultive des « pensées de gloire ». Il rêve de pays lointains, de champs de bataille ensoleillés. « Son foyer, désormais, serait une tente errante parmi les déserts roses des Tropiques. » Son modèle, le capitaine Nangès, est une force vive, un homme tendu vers l’action, une authentique figure de guerrier. Celui-ci se charge de son éducation, lui enseigne un idéal. En parallèle de son instruction militaire, l’adolescent recueille l’instruction spirituelle du capitaine. L’enfant soldat s’éveille au « militarisme intégral ».
L’annonce de son départ pour la Mauritanie est « la plus belle heure de sa vie », le point culminant de son destin. L’Afrique est une « terre d’action », la seule qui permette à son pays d’inscrire quelques pages de gloire dans l’histoire médiocre de son temps. Le principal danger, c’est « d’oublier l’histoire », de perdre le sens de celle-ci. « Nous nous préparons des années d’histoire vide. Pensez-vous à ce que pourront dire plus tard de nous les historiens ? Nos enfants verront dans leur manuel : ‘‘De 1880 à 19.., le commerce et l’industrie prospérèrent’’. À quoi servons-nous, sinon à faire l’histoire, et si nous ne la faisons pas, qui la fera ? »
L’appel de la tradition
Héritière d’un passé glorieux, véritable incarnation de l’ordre, l’armée est la seule, avec l’Église, qui ait maintenu une tradition : « L’armée représente une grande force du passé, la seule, avec l’Église, qui reste vierge, non souillée, non décolorée par l’impureté nouvelle. » Le rôle du soldat, c’est donc de maintenir un certain « fonds moral », qui s’oppose au pacifisme, à l’humanitarisme, aux rêveries infécondes de son siècle. Le parti des intellectuels est représenté par le père biologique de Maurice, un « sophiste », une « âme tiède » maudissant les soldats et leur drapeau. Paradoxalement, Maurice est un représentant du passé, d’un passé héroïque – son père, un représentant de l’avenir, du parti des intellectuels, grands selon l’esprit, mais non selon le cœur. Maurice est désormais « un bel enfant barbare, dans un monde jeune ».
En rêve, le capitaine Nangès rencontre Timoléon d’Arc, un personnage de Servitude et grandeur militaires (1835) de Vigny. Le héros de Vigny envie le héros de Psichari. Il aurait aimé fouler en conquérant cette terre d’Afrique, pleine de charme et de volupté. Là, l’homme se purifie, s’épure, loin des « pourritures modernes ». Là, du moins, « quelque idéal reste encore ». En réponse, le capitaine Nangès évoque le mépris de la nation, le rejet du colonialisme. La métropole tient les glorieuses chevauchées des soldats en piètre estime. « Le bourgeois a la crainte de ce qu’il ne comprend pas. Il tremble aux mots d’infini, d’absolu. Le Sahara lui fait peur, comme la musique de Wagner. » Comme Ernst Jünger le décrira quelques années plus tard : « L’élémentaire réside en dehors de son monde idéal ; pour lui, l’élémentaire est l’irrationnel voire l’immoral. »
Au contraire, « la guerre est divine ». Dans Terres de soleil et de sommeil (1908), Ernest Psichari décrivait la guerre comme un « indicible poème de sang et de beauté ». Elle est « la plus voisine des puissances cachées qui nous mènent » et le capitaine Nangès ne regrette pas que le jeune Maurice ait éprouvé cela : « Heureux les jeunes hommes qui, de nos jours, ont mené la vie frugale, simple et chaste des guerriers ! […] Toutes les terres sont belles pour un jeune soldat. Toutes les aubes sont fraîches, naïves ; puisqu’on s’y lève joyeux, confiant dans sa force, audacieux. » Dans cette terre d’Afrique, terre de soldats, imprégnée de grandeur et de noblesse, le capitaine Nangès entend son métier « en artiste ». Et Psichari de citer Alfred de Vigny : « Il exerce, non en ambitieux, mais en artiste, l’art de la guerre. » Ernst von Salomon, reprendra cette image dans Les Cadets (1933) : « Les soldats sont des artistes et les grands maîtres de la guerre sont le cœur mystique du monde. »
Témoignage d’une génération, L’appel des armes rencontre en 1913 un succès notable. La conversion de Psichari au catholicisme la même année achève d’en faire un modèle à la jeunesse de France. Il connaîtra néanmoins une destinée tragique. Comme Charles Péguy, dont il fut le « disciple préféré », Ernest Psichari est rappelé à Dieu au cours des premières semaines de la Grande Guerre. Mort à 30 ans le 22 août 1914 à la tête de ses hommes, le lieutenant Psichari devient l’un des héros de la « génération sacrifiée ».
14:09 Publié dans Littérature, Militaria | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernest psichari, première guerre mondiale, guerre, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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18:25 Publié dans Cinéma, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, louis-ferdinand céline, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, cinéma, 7ème art | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulletin célinien n°404 (février 2018)
Sommaire :
Une réédition censurée
Ce qu’en pense la traductrice israélienne de Céline
Ce qu’en pense Marc-Édouard Nabe
Polémique pour une autre fois
Rééditer les pamphlets ? C’est déjà fait !
Céline sur les planches.
Tout se serait donc passé autrement si le projet n’avait pas été ébruité. Il aurait fallu simplement veiller à ce qu’il n’y ait aucune fuite. Un fort volume serait sorti dans les “Cahiers de la Nrf” ou dans une autre collection et les opposants eussent été mis devant le fait accompli. Au lieu de cela les groupes de pression ont largement eu le temps de s’organiser, de se concerter et finalement d’empêcher que ce projet éditorial aboutisse. Cette affaire a permis, par ailleurs, d’observer de multiples divisions. Ainsi, au sein du CRIF, plusieurs militants étaient partisans d’une réédition encadrée par un collectif d’historiens alors que le président de cette organisation, après avoir hésité, s’est finalement rallié à la position de Klarsfeld.
Les historiens eux-mêmes n’étaient pas d’accord entre eux : Taguieff fit circuler un appel favorable à une réédition contrôlée par eux (appel signé notamment par Laurent Joly, Grégoire Kaufmann, Annette Becker et Odile Roynette) alors qu’un autre collectif d’historiens (Alya Aglan, Tal Bruttman, Éric Fournier, André Loez) se déclarait, lui, partisan de l’interdiction. Du côté politique, même chose: si le Premier Ministre était pour, plusieurs députés (Alexis Corbière mais aussi plusieurs élus de la majorité) étaient hostiles. Même division dans le milieu littéraire : les uns (Moix, Sansal, Jourde, Millet et Maulin) estimaient cette édition utile, alors que les autres (Modiano, Angot, Ernaux et même Vitoux) y étaient opposés. Une fois encore, Céline a suscité post-mortem un joli barouf, ce qui est somme toute très célinien.
Un esprit libre comme Philippe Bilger a su poser le problème en termes pertinents : « Derrière ces joutes aussi bien intellectuelles que politiques, prônant l’emprise d’un passé tragique sur le présent ou un présent libre mais non oublieux, il y a toujours la même hantise, la même crainte, presque le même mépris. À quel titre prétend-on se mêler de ce qui regarde le citoyen, le lecteur, de son choix et de son intelligence ? (…) N’aurait-il pas été concevable, convenable de rééditer ces textes et de laisser tous ceux qui admirent Céline pour partie ou pour le tout, qui le détestent pour le tout ou pour partie ou qui sont tout simplement curieux de l’ensemble se forger leur opinion, élaborer leur conviction et prendre un parti ? Faut-il donc toujours les prévenir, les alerter, les dissuader, leur enjoindre, les priver AVANT au lieu de les laisser lire, vivre ? » ¹. On peut raisonnablement penser que les lecteurs du Bulletin partagent cette opinion.
00:29 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : céline, pamphlets céliniens, revue, littérature, littérature française, années 30, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
par Nicolas Bonnal
Ex: http://www.dedefensa.org
Fatigué des nouvelles du jour, je me remets à glaner dans tout Montaigne. Sur nos guerres protestantes, américaines, notre choc des civilisations, j’y trouve ceci :
«… je trouve mauvais ce que je vois en usage aujourd’hui, c’est-à-dire de chercher à affermir et imposer notre religion par la prospérité de nos entreprises.
Notre foi a suffisamment d’autres fondements pour qu’il ne soit pas nécessaire de fonder son autorité sur les événements. Car il y a danger quand le peuple, habitué à ces arguments plausibles et bien de son goût, voit sa foi ébranlée par des événements qui lui sont contraires et défavorables. Ainsi en est-il des guerres de religion dans lesquelles nous sommes plongés. »
Sur la société d’abondance et de consommation qui produit satiété et dépression, j’y trouve cela :
« Pensons-nous que les enfants de chœur prennent vraiment du plaisir à la musique ? La satiété la leur rend plutôt ennuyeuse. Les festins, les danses, les mascarades, les tournois réjouissent ceux qui ne les voient pas souvent, et qui désirent depuis longtemps les voir ; mais pour celui dont ils forment l’ordinaire, le goût en devient fade et même déplaisant : les femmes n’excitent plus celui qui en jouit autant qu’il veut… Celui qui n’a pas l’occasion d’avoir soif ne saurait avoir grand plaisir à boire. »
Montaigne ajoute, comme s’il pensait à nos comiques :
“Les farces des bateleurs nous amusent, mais pour eux, c’est une vraie corvée. »
La société d’abondance ? Il la définit ainsi Montaigne :
« Il n’est rien de si ennuyeux, d’aussi écœurant que l’abondance. Quel désir ne s’émousserait d’avoir trois cent femmes à sa disposition, comme le Grand Turc dans son sérail ?
Quel désir et quelle sorte de chasse pouvait bien avoir celui de ses ancêtres qui n’y allait jamais qu’avec au moins sept mille fauconniers ? »
Sur l’espionnage par l’Etat profond, Montaigne nous rappelle tout simplement que les Grands sont plus espionnés que les petits, mais qu’ils y ont pris goût (pensez à son pessimiste ami La Boétie):
« Tout le monde redoute d’être contrôlé et épié ; les grands le sont jusque dans leurs comportements et leurs pensées, le peuple estimant avoir le droit d’en juger et intérêt à le faire. »
Pensons au harcèlement de nos pauvres peoples. A son époque c’est pire :
« Et il ne m’est jamais venu à l’idée que cela puisse constituer un quelconque avantage, dans la vie d’un homme cultivé, que d’avoir une vingtaine d’observateurs quand il est sur sa chaise percée… »
Deux siècles avant Montesquieu, Montaigne dénonce les caprices de la mode :
« La façon dont nos lois tentent de régler les folles et vaines dépenses de table et de vêtements semble avoir un effet contraire à son objet. Le vrai moyen, ce serait de susciter chez les hommes le mépris de l’or et de la soie, considérés comme des choses vaines et inutiles. Au lieu de cela, nous en augmentons la considération et la valeur qu’on leur attache, ce qui est bien une façon stupide de procéder si l’on veut en dégoûter les gens. »
La mode va vite comme la télé (cf. Virgile-Ovide) :
« Il est étonnant de voir comment la coutume, dans ces choses de peu d’importance, impose si facilement et si vite son autorité. À peine avions-nous porté du drap pendant un an à la cour, pour le deuil du roi Henri II, que déjà dans l’opinion de tous, la soie était devenue si vulgaire, que si l’on en voyait quelqu’un vêtu, on le prenait aussitôt pour un bourgeois. »
La Fontaine dira que le courtisan est un ressort. Montaigne :
« Le reste de la France prend pour règle celle de la cour.
Que les rois renoncent à cette vilaine pièce de vêtement qui montre si ostensiblement nos membres intimes, à ce balourd grossissement des pourpoints qui nous fait si différents de ce que nous sommes et si incommode pour s’armer, à ces longues tresses efféminées de cheveux… »
Montaigne vit au présent perpétuel, les ridicules qu’ils dénoncent sont donc ceux de la cité grecque d’Alan Bloom et Platon :
« Dans ses Lois, Platon estime que rien n’est plus dommageable à sa cité que de permettre à la jeunesse de changer ses accoutrements, ses gestes, ses danses, ses exercices et ses chansons, en passant d’une mode à l’autre, adoptant tantôt tel jugement, tantôt tel autre, et de courir après les nouveautés, adulant leurs inventeurs. C’est ainsi en effet que les mœurs se corrompent, et que les anciennes institutions se voient dédaignées, voire méprisées. »
Oui, il n’est pas trop réformateur, Montaigne.
Parfois il divague gentiment et il nous fait rêver avec ce qu’il a lu dans sa bibliothèque digne de Borges (voyez Guénon, Règne de la Quantité, les limites de l’histoire et de la géographie) :
« On lit dans Hérodote qu’il y a des peuples chez qui les hommes dorment et veillent par demi années. Et ceux qui ont écrit la vie du sage Épiménide disent qu’il dormit cinquante-sept ans de suite. »
Bon catholique, homme raisonnable surtout, Montaigne tape sur la Réforme, rappelant que deux siècles avant la révolution on a voulu changer les noms :
« La postérité ne dira pas que notre Réforme d’aujourd’hui a été subtile et judicieuse ; car elle n’a pas seulement combattu les erreurs et les vices, et rempli le monde de dévotion, d’humilité, d’obéissance, de paix et de toutes les vertus. Elle est aussi allée jusqu’à combattre ces anciens noms de baptême tels que Charles, Louis, François, pour peupler le monde de Mathusalem, Ézéchiel, Malachie, supposés plus imprégnés par la foi ! »
Sur ce sujet lisez son disciple Rothbard et son texte sur l’idéal communisme-millénariste des protestants, en particulier des anabaptistes.
Lire Montaigne (il dénonce le rustre son temps et sa mode efféminées !), qui nourrit Pascal, Cervantès et Shakespeare, c’est retomber dans l’enfance de la sagesse de la grande civilisation européenne aujourd’hui engloutie. Une sagesse biblique un rien sceptique, héritée de Salomon, plus sympathique que celle du sinistre Francis Bacon, qui triompha avec son Atlantide scientiste et son collège d’experts en folles manipulations psychologiques, génétiques et même agronomiques (lisez-le pour ne pas rire). Montaigne a moins voulu nous prévenir contre la tradition que contre cette folle quantité de coutumes, de modes et de snobismes qui s’imposeraient dans notre monde moderne déraciné.
On le laisse nous remettre chrétiennement à notre place (apologie de Raymond Sebond) :
« Le moyen que j’utilise pour combattre cette frénésie, celui qui me semble le plus propre à cela, c’est de froisser et fouler aux pieds l’orgueil et la fierté humaine. Il faut faire sentir à ces gens-là l’inanité, la vanité, et le néant de l’homme, leur arracher des mains les faibles armes de la raison, leur faire courber la tête et mordre la poussière sous le poids de l’autorité et du respect de la majesté divine. Car c’est à elle, et à elle seule qu’appartiennent la connaissance et la sagesse… »
Voilà pour le paganisme aseptisé de nos couillons de nos manuels scolaires !
Ou bien (Essais, I, L) :
« Je ne pense pas qu’il y ait en nous autant de malheur que de frivolité, autant de méchanceté que de bêtise ; nous sommes moins remplis de mal que d’inanité, nous sommes moins malheureux que vils. »
A transmettre à Davos. Et comme on parlait du roi Salomon, on citera ses proverbes :
« La gloire de Dieu est de cacher une chose, et la gloire des rois est de sonder une chose. »
Enfin pour faire lire et relire Montaigne je prends plaisir à recommander l’édition-traduction de Guy de Pernon, que j’ai trouvée juteuse et agréable, presque autant que le légendaire texte original (ebooksgratuits.com).
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par Bruno Lafourcade
Ex: https://ladecadencedecordicopolis.com
Trouvé sur Délit d’images à propos de Louis Pauwels qui sut défrayer les chroniques en son temps en étant l’auteur de cinglantes et impitoyables volées de bois contre le monde moderne et ses enfants atteints de « sida mental »…
Il s’agit d’un article de Bruno Lafourcade de Boulevard Voltaire.
Merci pour ce rafraîchissement !
« Il y a vingt ans que Louis Pauwels est mort. Ce nom ne dit peut-être rien aux jeunes gens d’aujourd’hui ; il disait beaucoup à ceux des années quatre-vingt – ils manifestaient contre « la loi Devaquet », les anciens de 68 les brossaient dans le sens du duvet et Pauwels, lui, « n’ayant pas de minus à courtiser », leur dit virilement qui ils étaient : « les enfants du rock débile, les écoliers de la vulgarité pédagogique, les béats de Coluche et Renaud nourris de soupe infra-idéologique cuite au show-biz, ahuris par les saturnales de “touche pas à mon pote”, et, somme toute, les produits de la culture Lang ». La suite de ce « Monôme des zombies », publié le 6 décembre 1986 dans Le Figaro Magazine, n’était pas moins fouetteur : « Ils ont reçu une imprégnation morale qui leur fait prendre le bas pour le haut. Rien ne leur paraît meilleur que n’être rien, mais tous ensemble, pour n’aller nulle part. […] C’est une jeunesse atteinte d’un sida mental. »
Cette expression en scandalisa beaucoup, en effraya certains, en secoua d’autres, arrachés à leur sommeil dogmatique, qui comprirent d’un seul coup que son auteur, à la vigueur imagée et frontale, avait raison : le style n’a jamais tort. Pauwels, dans cet article prémonitoire, arrachait de leur chemise la petite main jaune de la bonne conscience que les mitterrandiens y avaient épinglée.
Bien entendu, laisser un article, quand on en a écrit des milliers, c’est peu ; une expression, c’est moins encore, quand on est romancier ; c’est pourtant ce qui est arrivé à Pauwels, que ce « sida mental » résume, sans le déformer – qui exprime exactement sa phrase et sa morale également robustes.
À la tête de Combat à vingt-neuf ans, Pauwels fondera, plus tard, Le Figaro Magazine, où il fit entrer l’équipe de la Nouvelle Droite, avant de s’en séparer. Il s’est aussi intéressé à l’ésotérisme, écrivit avec Jacques Bergier Le Matin des magiciens, dont le succès sera suivi par la revue Planète. Il a été, enfin, un romancier très imprégné par le « réalisme fantastique », sauf pour son dernier roman, Les Orphelins, qui offre curieusement un écho à son plus célèbre article, publié dix ans plus tôt.
Nous sommes peu après Mai 68 ; Michel Cartry, un jeune gauchiste, voue à son père, Antoine, un riche industriel, une haine qui le conduit à accepter de feindre d’avoir été enlevé par les Brigades rouges : il s’agit d’obtenir une rançon. Pauwels en profite pour traduire Mai 68 en justice (« Comment tant de gens intelligents ont-ils consenti à voir un Messie dans cette jeunesse devenue folle qui brûlait sa maison afin de l’éclairer ? »), avec la génération qui, vingt ans plus tard, s’amuserait à en faire descendre d’autres dans la rue (« Michel, dit son père, aurait pu devenir un jeune homme. L’époque l’a réduit à l’état vaseux et acide des “jeunes”. Les “jeunes” : des grégaires qui se prétendent singuliers ; qui se croient naturels parce qu’ils sont informes » ; d’ailleurs, « pour ceux qui ne valent pas grand-chose, comme Michel, c’est un réconfort de crier que rien ne vaut »).
Vif et vigoureux, jamais alourdi par l’empathie, Pauwels aurait eu assez de dons, d’intuition et de jugement (« C’est deux fois vieillir que vieillir dans la laideur ») pour être le grand romancier des mœurs de son temps ; il a préféré en être le reporter. Il n’est pas exagéré de dire qu’il ne fut pas indigne de sa mission. ».
Tout est tellement vrai et bien vu ! Avec un franc-parler au style impeccable… un vrai plaisir.
Nous pouvons constater qu’aujourd’hui, les enfants du rock débile se sont perpétués en donnant naissance à une flopée d’enfants d’une techno débile, des immondes parades et du téléphone portable abêtissant.
Pauvre France…
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par Fares Gillon
Ex: https://www.philitt.fr
[Cet article est initialement paru dans la revue PHILITT #5 consacrée à la barbarie]
Dans Le Rivage des Syrtes, Julien Gracq prend le contre-pied d’une conception exclusivement négative de la barbarie en la présentant comme un renouveau nécessaire à la revivification d’un vieil État somnolent.
Le Rivage des Syrtes met en scène une vieille cité fictive, Orsenna, qui jouit tranquillement de sa paix, dans la sérénité des cimetières. Autrefois, une guerre l’avait opposée à un monde de l’autre côté de la mer, le Farghestan, civilisation en forme de « mosaïque barbare où le raffinement extrême de l’Orient côtoie la sauvagerie des nomades ». Après quelques escarmouches, « les hostilités languirent et s’éteignirent d’elles-mêmes tout à fait ». Selon un accord tacite, toutes les relations furent coupées, la mer devint une frontière infranchissable, et chacun vécut de son côté comme si l’autre n’existait plus. Durant trois siècles, Orsenna s’est enfoncée dans sommeil sans heurts. Le jeune héros, Aldo, s’ennuie d’une vie de plaisirs mondains et se fait envoyer comme fonctionnaire à l’Amirauté, port censément militaire sur le rivage de la région des Syrtes, qui fait face à l’ennemi tricentenaire, invisible et inconnu. L’inactivité militaire a progressivement fait de l’Amirauté une « bizarre entreprise rentable, qui s’enorgueillissait devant les bureaux de la capitale de ses bénéfices plus que de ses faits d’armes », plus occupée de fermage que de conquêtes ou de défense. « On pouvait enregistrer le progrès de son engourdissement inquiétant, dans le reflux de la vie aventureuse et dans le sourd appel montant de la terre rassurante et limitée. »
La rumeur barbare
Aldo s’étonne de trouver l’Amirauté dans un « état de stagnation », d’« irrémédiable décadence » : « L’aspect habituel du port était celui du profond sommeil », dit-il déçu. Pourtant, il demeure sceptique face à la montée de rumeurs et de « bruits » persistants qui laissent deviner que quelque chose se prépare du côté du Farghestan. Il refuse de les créditer du moindre fond de vérité – alors même qu’il aspire confusément à la nouveauté qui s’annonce, alors même qu’il a précisément quitté Orsenna dans l’espoir de rompre la monotonie de l’existence d’un fils de bonne famille. Lorsque l’administration d’Orsenna l’engage à prendre ces « bruits » plus au sérieux, il est surpris que son scepticisme qu’il croyait de commande ne soit pas partagé en haut lieu ; il franchira pourtant le pas qui précipitera le bouleversement.
Orsenna est l’image même de l’État stable, depuis si longtemps habitué qu’il en a perdu toute vigueur. « Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour faire tout bouger », ainsi que le fait dire Gracq à Marino, le commandant de l’Amirauté, très attaché au maintien de cet équilibre, satisfait de l’existence sans surprise qu’il entraîne et inquiet du moindre changement. Mais à la tête d’Orsenna, un nouveau maître a l’ambition de secouer les choses : « Il y a trop longtemps qu’Orsenna n’a été remise dans les hasards. Il y a trop longtemps qu’Orsenna n’a été remise dans le jeu. » Devant un Aldo effaré, Danielo, l’homme fort de la Seigneurie d’Orsenna, expose sa volonté de sauver Orsenna contre elle-même, contre son « assoupissement sans âge », quitte à l’engager sur un chemin de mort et de destruction. « Quand un État a connu de trop de siècles, dit Danielo, la peau épaissie devient un mur, une grande muraille : alors les temps sont venus, alors il est temps que les trompettes sonnent, que les murs s’écroulent, que les siècles se consomment et que les cavaliers entrent par la brèche, les beaux cavaliers qui sentent l’herbe sauvage et la nuit fraîche, avec leurs yeux d’ailleurs et leurs manteaux soulevés par le vent.
La sécurité contre la vie
La sécurité dans laquelle végète Orsenna, son assurance que rien ne changera, que les choses resteront toujours ce qu’elles sont, sont les signes de son déclin et de sa momification. Dans une société comme la nôtre où la sécurité est un argument électoral, il peut sembler surprenant que cette dernière soit comprise ici comme le signe de la mort ; c’est que nous confondons la conservation d’une vie individuelle, la bourgeoise « sécurité des biens et des personnes », avec la vie au sens fort. Mais « le monde n’est justifié qu’aux dépens éternels de sa sûreté » : quand on se mure contre les « hasards » et le « jeu », contre l’aiguillon de la vie, on conserve certes son corps et sa tranquillité d’esprit, mais c’est au même titre que les onguents conservent les cadavres. Or les cadavres n’ont aucun droit sur la vie, par définition. « Il y a plus urgent que la conservation d’une vie, si tant est qu’Orsenna vive encore. Il y a son salut. » Comme dans la parabole évangélique des talents, celui qui ne remet pas en jeu ce qu’il a reçu, celui qui ne risque rien, ne mérite rien. On ne peut faire fructifier quelque chose que l’on ne risque pas de perdre.
Au cœur du roman, le récit du lent éveil d’Orsenna face aux événements prend une dimension spirituelle lorsque Aldo assiste au sublime sermon d’une messe de Noël. C’est que Noël est la fête du « Roi qui apportait non la paix, mais l’épée », d’une lumière germant au cœur des ténèbres hivernales, de la naissance par excellence qui est le modèle de tout avènement : « Je vous apporte la nouvelle d’une ténébreuse naissance », clame le prêtre. Si le texte ne le dit pas explicitement, l’évocation de la Nativité vise bien les « invasions barbares » qui, du Farghestan, déferleront bientôt sur Orsenna, en ceci qu’elles ouvrent un nouveau cycle, une ère d’incertitude féconde : « En cette nuit d’attente et de tremblement, dit le prêtre, en cette nuit du monde la plus béante et la plus incertaine, je vous dénonce le Sommeil et je vous dénonce la Sécurité. »
La commémoration de la naissance du Christ est l’occasion de fustiger « la race de la porte close », « ceux qui tiennent que la terre a désormais son plein et sa suffisance », « les sentinelles de l’éternel Repos » prêtes à tout pour préserver le statu quo et sauvegarder ce qu’elles n’ont pas même acquis de leurs mains, mais dont elles n’ont fait qu’hériter. Or, comme l’écrit Ernst Jünger, ami de Gracq, dans Les Falaises de marbre, « l’héritage est la richesse des morts ». Et les morts s’opposent aux vivants, a fortiori aux naissances et à leur cortège de désagréments : « Il est des hommes pour qui c’est chose toujours mal venue que la naissance ; chose ruineuse et dérangeante, sang et cris, douleur et appauvrissement, un terrible remue-ménage – l’heure qu’on n’a point fixée, les projets qu’elle traverse, la fin du repos, les nuits blanches, toute une tornade de hasards autour d’une boîte minuscule. »
Et si la naissance doit apporter aussi la mort, si les têtes doivent fleurir au bout des piques, si l’ordre et la marche du monde doivent en être troublés, ainsi soit-il ! Car vient un moment où « tout vaut mieux que d’être ligoté vivant à un cadavre, tout soudain est préférable à se coller à cette chose condamnée qui sent la mort ». Outre que la naissance est « le Sens ». Quel sens ? Celui même de la vie.
[Vous pouvez vous procurer PHILITT #5 en cliquant sur ce lien.]
00:14 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien gracq, littérature, littérature française, france, lettres, lettres françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Je connais peu de choses sur Jean Fontenoy. Je les ai découvertes il y a quarante ans dans l’excellent livre de Pierre-Marie Dioudonnat, Je suis partout. Les maurrassiens devant la tentation fasciste. Il était dépeint comme un intrépide combattant apte à mener un assaut sur skis. Sa légende lui prêtait une liaison dangereuse avec l’épouse de Tchang Kaï-Chek. D’aucuns pensent aujourd’hui qu’il n’existe qu’une seule biographie « non romancée » (Philippe Vilgier, Jean Fontenoy. Aventurier, journaliste et écrivain, Via Romana, 2012) de cet étonnant personnage qui, à son retour de Chine, fait connaissance de Madeleine Charnaux.
Celle-ci naît à Vichy en 1902 et y meurt en 1943, ce qui pourrait faire penser à une existence tranquille. C’est tout au contraire un parcours semé d’aventures qui caractérise cette femme dont la première passion est le sculpture. Elle est l’élève et le modèle d’Antoine Bourdelle. Elle obtient une première consécration artistique en 1931 à la faveur d’une exposition de ses œuvres au musée du Luxembourg.
Ensuite résonne en Madeleine Charnaux l’appel des grands espaces aériens. Première aviatrice à atterrir à Marrakech en 1932, elle participe à de nombreuses démonstrations et travaille à l’école d’acrobatie Morane-Saulnier. Elle réalise un raid inédit Paris – Tripoli et, d’un nouveau périple en Afrique du Nord, elle ramène des dessins et des sculptures dont l’exposition est bien accueillie par le public et la critique, mais dont le succès commercial est mitigé en 1934.
Également journaliste, Madeleine Charnaux propose au Petit Parisien un reportage sur Italo Balbo, promoteur de l’aviation italienne. Après avoir battu plusieurs records (notamment de vitesse en 1937), elle épouse en 1938 l’auteur de Shanghai Secret évoqué plus haut. Bien qu’affaiblie par un cancer, elle écrit ses souvenirs d’aviatrice (La Passion du ciel, 1942) et un roman policier qui sortira chez France-Empire après sa mort en 1944.
Récemment réédité, ce polar se passe tout naturellement dans le milieu de l’aviation et le préfacier Philippe Vilgier écrit : « Après avoir refermé le livre, comment ne pas songer que Maria Sturm est une cousine de Madeleine Charnaux qui aurait mal tourné ? » En effet, l’héroïne trouve la mort après avoir été impliquée dans un trafic de stupéfiants, au grand déplaisir du commissaire Félix, pour qui Marina était une « idole ailée ». Il aurait peut-être préféré que l’aviatrice ait été assassinée par son amant le colonel Terne qui, en raison de leur virulente altercation la veille du drame, fait longtemps figure de suspect numéro un.
Voici Terne sortant de prison, disculpé et attendu dans un taxi par son épouse qui lui pardonne son aventure extra-conjugale. « Terne avait appris ce matin de bonne heure qu’il était libre et pouvait rentrer chez lui. La levée d’écrou avait eu lieu. Grisonnant, le teint sali par l’insomnie, le colonel paraissait très vieux, marchant lentement, tête basse, le long du corridor froid et sombre. Le gardien lui avait rendu ses effet. C’est-à-dire son col, sa cravate et ses lacets de soulier. Il tenait à la main le sac de toilette en cuir dont les coins s’étaient usés dans les carlingues d’avions. Terne passa la grande voûte d’entrée et se trouva dans la rue la plus lugubre de Paris.
Il leva les yeux sur le café triste À la Bonne Santé qui fait face aux hautes murailles noires de la prison et s’approcha d’un taxi qui semblait l’attendre. Un visage fané, aux beaux yeux brillants de larmes, se tourna vers lui, encadré par la portière. Madame Terne lui enleva le petit sac des mains, le posa à côté d’elle et sans rien dire, tendrement, pitoyablement, serra dans ses bras son compagnon malheureux.
– Rentrons vite, les enfants nous attendent. Ils vont être si contents ! »
Douée pour le dessin, les arts plastiques, l’écriture narrative et journalistique, Madeleine Charnaux n’a pas eu le temps de développer les diverses facettes de sa personnalité. Emportée par la maladie à l’âge de quarante ans, elle laisse surtout le souvenir d’une grande figure de l’aviation française. « C’était une jeune femme d’un grand charme. Blonde aux yeux pervenche, amoureuse de Rimbaud, de Rilke et de Bach, elle était douée d’une volonté indomptable (Saint-Paulien). »
Forçant l’admiration de Mermoz et bénéficiant de l’estime de Jean Cocteau, elle a côtoyé dans la revue Lecture 1940 Paul Morand et Henri de Montherlant. Il faut remercier Francis Bergeron et Pierre Gillieth d’avoir accueilli Madeleine Charnaux dans leur collection.
Daniel Cologne
• Madeleine Charnaux, Qui a tué Marina Sturm ?, Éditions Auda Isarn, coll. « Le Lys noir », 2017, 184 p., 12 €.
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par Nicolas Bonnal
Ex: http://www.dedefensa.org
Chaque défaite de cette société est une victoire de la vie.
On va citer Philippe sans trop l’interrompre. On ne s’est pas rencontrés mais correspondus vers l’an 2000…
Nous avions le même éditeur, les Belles Lettres, depuis lors chu dans un désastre obscur. Fidèle à ma méthode, je lui avais envoyé une lettre pour lui rappeler que Flaubert (Bouvard et Pécuchet) comme Musil, qu’il citait, et Broch (l’apocalypse joyeuse) tançaient déjà cette société festive, humanitaire et querelleuse qu’il pourfendait avec une verve perpétuelle, aussi remarquable dans ses livres que dans ses interviews : je me demande ce qu’il aurait dit de l’affaire Trump, Weinstein, Oprah ou Jolie-Otan ! Et il rappelait qu’il aimait faire rire, pas jouer au grincheux pour médias PC.
Mais citons Philippe :
« Le rire est une façon de manifester que l’agnosticisme par rapport au réel moderne est encore possible. »
Sur le crépuscule du rire dans notre monde obscène (admirez ses phrases) :
« Ce monde est dérisoire, mais il a mis fin à la possibilité de dire à quel point il est dérisoire ; du moins s’y efforce-t-il, et de bons apôtres se demandent aujourd’hui si l’humour n’a pas tout simplement fait son temps, si on a encore besoin de lui, etc. Ce qui n’est d’ailleurs pas si bête, car le rire, le rire en tant qu’art, n’a en Europe que quelques siècles d’existence derrière lui (il commence avec Rabelais), et il est fort possible que le conformisme tout à fait neuf mais d’une puissance inégalée qui lui mène la guerre (tout en semblant le favoriser sous les diverses formes bidons du fun, du déjanté, etc.) ait en fin de compte raison de lui. En attendant, mon objet étant les civilisations occidentales, et particulièrement la française, qui me semble exemplaire par son marasme extrême, par les contradictions qui l’écrasent, et en même temps par cette bonne volonté qu’elle manifeste, cette bonne volonté typiquement et globalement provinciale de s’enfoncer encore plus vite et plus irrémédiablement que les autres dans le suicide moderne, je crois que le rire peut lui apporter un éclairage fracassant. »
Sa critique du vieux crétin parigot en trottinette :
« …Le rire m’avait plus durablement saisi cet hiver, pendant près de six mois, en voyant des imbéciles bien intentionnés, sur la dalle de Montparnasse, se rassembler pour faire du roller et ainsi militer pour la libération de Florence Aubenas et de son guide en portant des tee-shirts où on pouvait lire : « Ils sont partis pour nous, ils reviendront grâce à nous ». Au fond, nous ne devrions plus traverser ce monde qu’en rigolant sans cesse comme des baleines. »
Dans une autre interview, une pensée sur la fin du rire :
« Le rire est très exactement ce que l’époque ne peut plus du tout tolérer, encore moins produire, et qu’elle est même en passe de prohiber. «Rire de façon inappropriée», comme on a commencé à dire il y a une dizaine d’années sur les campus américains, est maintenant presque un délit. L’ironie, la dérision, la moquerie, la caricature, l’outrance, la farce, la guignolade, toute la gamme du rire, sont à mes yeux des procédés de description que l’âge de l’industrie de l’éloge ne peut évidemment pas supporter. »
Puis Muray évoque la religion du moderne :
« On parle beaucoup de déclin des grandes religions, de demande de spirituel ou de retour du religieux, mais à mes yeux le XXIe siècle commence sous le joug d’une religion implacable : le Moderne. Le Moderne pour le Moderne. Le Moderne en soi. C’est la plus dure des religions et, contre elle, je ne vois pas d’autre délivrance que celle du rire. Pour reprendre une formule connue, le rire est un antidestin. »
Sur l’homme robotisé par la connerie et pas par la technologie, Philippe Muray écrivait, prononce plutôt ces lignes hilarantes :
« Festivus festivus, qui vient après Homo festivus comme Sapiens sapiens succède à Homo sapiens, est l’individu qui festive qu’il festive : c’est le moderne de la nouvelle génération, dont la métamorphose est presque totalement achevée, qui a presque tout oublié du passé (de toute façon criminel à ses yeux) de l’humanité, qui est déjà pour ainsi dire génétiquement modifié sans même besoin de faire appel à des bricolages techniques comme on nous en promet, qui est tellement poli, épuré jusqu’à l’os, qu’il en est translucide, déjà clone de lui-même sans avoir besoin de clonage, nettoyé sous toutes les coutures, débarrassé de toute extériorité comme de toute transcendance, jumeau de lui-même jusque dans son nom. »
Sur l’après fin de l’histoire qui se nourrit d’ersatz (de simulacres, dirait notre autre Philippe), d’événements :
« Après la fin de l’Histoire, donc aussi après la fin des événements, il faut bien qu’il y ait encore quelque chose qui ait l’apparence d’événements même si ça n’en est pas. Eh bien ces ersatz d’événements, le Moderne les puisera en lui-même, dans un affrontement perpétuel avec lui-même qui constituera la mythologie (mais aussi la comédie) de la nouvelle époque. »
Sur la criminalisation procédurière du passé ou sur l’histoire réécrite (voyez la deuxième considération de Nietzsche) par le storytelling humanitaire, anti-blanc ou LGBTQ :
« …maintenant il est extrêmement difficile de dire ce qu’était l’Histoire dans la mesure où nous en avons effacé les traces parce que nous lui avons substitué un ensemble de films de fiction sur lesquels nous portons des jugements moraux et que nous traînons devant des tribunaux rétrospectifs plus burlesques les uns que les autres. Ce délire procédurier rétrospectif trouve bien entendu son équivalent au présent, dans la société contemporaine, où la folie procédurière en cours se nourrit du ressentiment de tous contre tous, du sentiment d’innocence que chacun entretient vis-à-vis de lui-même et de l’accusation de culpabilité qu’il porte envers tous les autres. »
Muray disait déjà sur la disparition des ennemis (les fachos sont soumis, les musulmans exterminés ou contrôlés, surtout les terroristes) :
« Ce magma, pour avoir encore une ombre de définition, ne peut plus compter que sur ses ennemis, mais il est obligé de les inventer, tant la terreur naturelle qu’il répand autour de lui a rapidement anéanti toute opposition comme toute mémoire. »
Sur le besoin de se débarrasser du fardeau sexuel :
« …il faudrait revoir, réactualiser et corriger tout cela avec le formidable progrès des sciences qui, joint au désarroi général et à l’envie sourde de se débarrasser du fardeau sexuel, est en train de fusionner dans une espèce d’idéologie new age qui n’a même plus besoin de dire son nom. Il y a aujourd’hui un néo-scientisme mystique qui renouvelle tout ce que j’écrivais, à l’époque, sur les danses macabres de l’occultisme et du socialisme. »
Belle définition de mai 68 :
« 68 n’est pas ce qu’on raconte, mais la contribution la plus efficace jamais apportée à l’établissement de la civilisation des loisirs. Par 68, le dernier homme s’est vu gratifier de ce qui lui manquait pour cacher en partie son immense veulerie vacancière : une petite touche de subversion… »
Petite définition du passé (ère des crimes contre l’humanité, nous sommes depuis à l’ère des primes) :
« Dans le nouveau monde, on ne retrouve plus trace du Mal qu’à travers l’interminable procès qui lui est intenté, à la fois en tant que Mal historique (le passé est un chapelet de crimes qu’il convient de ré-instruire sans cesse pour se faire mousser sans risque) et en tant que Mal actuel postiche. »
Sur la capacité de chantage et de harcèlement de cette société (qui peut aussi déporter et exterminer, comme dans le monde arabe) :
« Cette anecdote, qui vaut pour tant d’autres, a la vertu de révéler le moderne en tant que chantage ultra-violent ; et de faire entendre la présence du Mal dans la voix même des criminels qui l’invoquent pour faire tout avaler. »
Sur les accusations de facho :
« Quand ils traitent quelqu’un de «maurrassien», par exemple, c’est autant de temps de gagné : il est tellement plus avantageux de parler de Maurras, et de le condamner, que d’ouvrir les yeux sur le monde concret ! Ils n’ont plus que ce projet : gagner du temps. Empêcher que leurs exactions soient connues en détail. »
Sur la dégénérescence de la gauche (notez le bel usage de l’accumulation, un de ses tropes préférés) :
« …mais ils continuent parce que cette doctrine, à présent toute mêlée au marché, toute fusionnée, toute confusionnée avec les prestiges de l’Europe qui avance sur ses roulettes, avec le festivisme généralisé et programmé, avec le turbo-droit-de-l’hommisme, avec le porno-business, les raves vandaliques, le déferlement hebdomadaire des néo-SA en rollers, et encore avec tant d’autres horreurs dont on ne les a jamais entendus dire quoi que ce soit, leur permet de conserver une apparence de pouvoir tout en jouissant dans le même temps (à leurs seuls yeux maintenant) d’une réputation de «rebelles». Il leur restait un chapeau à manger, un vrai haut-de-forme celui-là, celui de l’américanophilie ; c’est fait depuis le 11 septembre 2001. »
Sur l’euphémisme dénoncé en son temps par Bourdieu (on parle de flexibilité pour payer 500 euros tout le monde) :
« …l’été dernier, alors que d’effrayantes inondations submergeaient l’Europe de l’est, notamment l’Allemagne et la Tchécoslovaquie, et que l’on se demandait si le climat n’était quand même pas vraiment détraqué, un hebdomadaire avait tranché avec un titre admirable : «Le climat ne se détraque pas, il change.» Appliquée au temps, c’est la rhétorique analgésique de l’époque dans tous les domaines : la famille n’est pas en miettes, elle change ; l’homosexualité, soudain toute-puissante et persécutrice, n’est pas au moins, per se, une étrangeté à interroger, c’est la sexualité en général qui change. Et ainsi de suite. »
Pointe d’humour (la litote à rebours) :
« Et, le jour de l’Apocalypse, ne vous dites pas non plus que c’est la fin du monde, dites-vous que ça change. »
C’est la chanson de Boris Vian ! Sur la fin de la sexualité come héritage de la pseudo-libération qui a viré comme toujours à l’épuration de masse et à la chasse aux sorcières :
« Il n’y a aucune contradiction entre la pornographie de caserne qui s’étale partout et l’étranglement des dernières libertés par des «lois antisexistes» ou réprimant l’«homophobie» comme il nous en pend au nez et qui seront, lorsqu’elles seront promulguées, de brillantes victoires de la Police moderne de la Pensée. »
Derrière ces pauvres hères toutefois, le conglomérat des solitudes sans illusions dont parle Guy Debord :
« …pour en revenir à cette solitude sexuelle d’Homo festivus, qui contient tous les autres traits que vous énumérez, elle ne peut être comprise que comme l’aboutissement de la prétendue libération sexuelle d’il y a trente ans, laquelle n’a servi qu’à faire monter en puissance le pouvoir féminin et à révéler ce que personne au fond n’ignorait (notamment grâce aux romans du passé), à savoir que les femmes ne voulaient pas du sexuel, n’en avaient jamais voulu, mais qu’elles en voulaient dès lors que le sexuel devenait objet d’exhibition, donc de social, donc d’anti-sexuel. »
Et pour finir une nouvelle petite accumulation sur le crétinisme du clown médiatique et humanitaire :
« …l’angélisme d’Homo festivus, son parler-bébé continuel, son narcissisme incurable, sa passion des contes de fées, son refoulement du réel (toujours «castrateur»), son illusion de toute-puissance, sa vision confuso-onirique du monde et son incapacité, bien sûr, de rire. »
Entretiens par Vianney Delourme et Antoine Rocalba
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Sur l'annonce de la réédition des pamphlets de Céline
par Richard Millet
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et dans laquelle il évoque la polémique autour de l'annonce par les éditions Gallimard de la publications des pamphlets de Céline dans la bibliothèque de La Pléiade...
Auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), Richard Millet a publié cet automne aux éditions Léo Scheer un roman intitulé La nouvelle Dolorès. Il devrait prochainement publier son journal, de l'année 1971 à l'année 1994.
Polémique pour une autre fois
Après plusieurs semaines d’une polémique qui a agité quelques arrondissements de Paris, M. Gallimard vient de « suspendre » la republication des pamphlets de Céline. L’argument « scientifique » de l’éditeur et la caution de Pierre Assouline ne l’ont pas emporté sur le concert d’opinions diverses, néanmoins attendues, car déjà énoncées maintes fois, et qui donnent l’impression d’un ballet sans paroles ni musique ni rien, puisque la non-republication des pamphlets par l’éditeur « historique » de Céline ne règle rien.
On peut imaginer que la « polémique » incitera ceux qui n’ont pas encore lu ces textes à acheter, via Amazon, l’édition québécoise, ou à les lire en PDF – les plus curieux se procurant d’illicites reprints. Sur la question des pamphlets, j’ai, pour ma part, toujours été de l’avis de Sollers : il faut les republier ; ils font partie de l’œuvre, tout comme les écrits politiques de Bernanos, Gide, Drieu, Montherlant, Camus, Sartre...
Pour le reste, cette « polémique » ne constitue pas, comme on l’a dit, une « affaire » Céline : celle-ci a eu lieu en 1945 ; ou bien Céline est une affaire à lui tout seul. Craindre que la réédition, dans l’austère collection des Cahiers de la NRF, à côté des articles d’avant-guerre de Blanchot et du Journal inutile de Morand, de textes qu’on trouve aisément relève donc d’un accès de vertu : je ne sache pas que la republication, il y a trois ans, des Décombres de Rebatet ait nourri l’antisémitisme en France. L’antisémitisme « culturel » est mort en 1945. Celui qui a récemment vu le jour est le fait d’une population musulmane radicalisée et/ou délinquante, qui agit au nom du cliché du « juif riche » ou encore du « sioniste » qui opprime, même à distance, le peuple palestinien, et qu’il faut donc punir. Ceux qui ont tué Ilan Halimi, plus tard Sarah Halimi, et qui ont incendié une épicerie cacher, à Créteil, la semaine dernière, n’avaient pas lu Bagatelles pour un massacre. Savent-ils même lire ? Cet antisémitisme-là est là un des non-dits majeurs du gauchisme officiel, dont l’alliance objective avec l’islam sunnite suscite un « bloquage » majeur de la vie politique, en France et en Europe.
Redouter, plus largement, que les pamphlets de Céline ne corrompent la jeunesse, c’est supposer à cette dernière une capacité à lire qu’elle n’a plus. Car Céline n’est pas un écrivain facile, et nullement à la portée de ceux qui, voyous islamistes de banlieue ou petits-bourgeois connectés, ont bénéficié l’enseignement de l’ignorance qui est, selon Michéa, le propre de l’Education nationale. Un état de fait pieusement réfuté, à l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, par un magazine officiel qui voit, dans les 50 années qui se sont écoulées, un remarquable progrès de l’enseignement public : ne sommes-nous pas arrivé à 79% de bacheliers, c’est-à-dire un progrès de 20% ? En vérité il faut, en cette matière comme en toutes les autres, inverser le discours : il ne reste plus que 20%, environ, d’élèves à peu près capables de lire et d’écrire correctement le français, et de se représenter l’histoire de France autrement que par le filtre relativiste et mondialiste du néo-historicisme.
Pendant que les intellectuels bataillaient, je songeais à la façon dont Daniel Barenboim avait, il y a une dizaine d’années, suscité une vive polémique en dirigeant pour la première fois du Wagner en Israël. La question de l’œuvre, de la possibilité d’une œuvre, jusque dans ses excès, ses errements, ses apories, est donc légitimement posée de façon passionnée ou prudente ; mais c’est peut-être la dernière fois qu’elle se posera, en une ère qui voit disparaître peu à peu la possibilité psychologique de connaître Wagner et de lire Céline. La jeunesse contemporaine n’a plus rien à faire de Wagner, de Céline, d’Aragon, de Ravel, de Giono, de Boulez, ou de Soljenitsyne : elle ne sait rien, et ne veut qu’être connectée à elle-même, c’est-à-dire au néant.
Le problème n’est donc pas d’empêcher les jeunes gens de lire les pamphlets de Céline (et je n’userai pas de l’argument spécieux, entendu dans quelques bouches qui avancent que, comme pour Harry Potter, mieux vaudrait que les jeunes lussent ces pamphlets que rien du tout) ; le problème est, brame la presse officielle, de « désintoxiquer les ados du téléphone portable ». Question en effet primordiale, et à la désintoxication du « portable », ajoutons celle du cannabis, du gauchisme culturel, du consumérisme, de la télévision, de la mondialisation. Est-ce possible ? Par quel exorcisme ? Et pour quelles valeurs autres que les fariboles « républicaines » et onusiennes ? Oui, comment retrouver le réel ?
Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 13 janvier 2018)
01:36 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pamphlets céliniens, céline, louis-ferdinand céline, richard millet, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, antisémitisme, censure, france | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Propos recueillis par Benjamin Fayet
Ex: http://www.philitt.fr
David Alliot est spécialiste de Louis-Ferdinand Céline. Il est l’auteur D’un Céline l’autre (2011), publié dans la collection « Bouquins » chez Robert Laffont, et vient de publier chez Tallandier une biographie de Lucette Destouches intitulée Madame Céline. Il répond à nos questions sur la polémique suscitée par la volonté des éditions Gallimard de rééditer les pamphlets de l’auteur du Voyage au bout de la nuit.
PHILITT : Céline s’est toujours opposé à la republication des pamphlets. Être célinien, est-ce par conséquent s’opposer au projet de Gallimard ?
David Alliot : Céline s’était opposé à la réédition des pamphlets à son retour du Danemark. Il considérait que ces textes étaient des écrits de circonstance, et il ne voulait plus en entendre parler. À sa mort, sa veuve a poursuivi en ce sens en s’opposant à toute réédition, jusqu’à une date récente. Comme célinien, je suis favorable à leur réédition, mais en ce domaine c’est l’ayant-droit (donc Lucette) qui est décisionnaire. Sinon, il faudra attendre le 1er janvier 2032, lorsqu’ils tomberont dans le domaine public.
La republication des Décombres de Rebatet n’a pas suscité un scandale de cette envergure. Comment expliquer cette différence de traitement, sachant que Rebatet était un collaborationniste revendiqué, contrairement à Céline ?
Il faut être réaliste, Rebatet n’a pas la même envergure littéraire que Céline. Céline est considéré, à juste titre, comme un écrivain majeur du XXe siècle, et certains de ses romans sont étudiés en classe, notamment le Voyage au bout de la nuit. Rebatet a été plus loin que Céline dans la collaboration, certes, mais on ne joue pas dans la même division en terme de notoriété, ni dans la place qu’ils occupent dans la littérature.
L’antisémitisme de Céline est tellement délirant et extensif qu’il n’était pas pris au sérieux par les antisémites officiels, pourtant ses pamphlets sont considérés comme la quintessence de l’antisémitisme. Est-ce dû à son talent d’écrivain ?
Oui, hélas. Dans les années 1930, le pamphlet antisémite est l’apanage de docteurs ratés, d’aigris, de mauvais… avec l’arrivée de Céline dans ce « genre » particulier, il y apporte son souffle, son style et une forme de génie littéraire. C’est ça le vrai « scandale Céline ». Mettre son talent littéraire dans une cause qui ne le méritait pas.
Pensez-vous, comme certains l’avancent, que le génie littéraire de Céline est absent des pamphlets ?
Le talent littéraire de Céline est présent dans les pamphlets, mais diffère de celui des romans. Là, on est dans l’outrance et l’exagération permanente. Ceci dit, il y a de très beaux passages littéraires dans les pamphlets… Entre deux torrents de haine antisémite, on y trouve une magnifique description de Leningrad… que vient elle faire là ? Mystère !
Certains avancent que Lucette Destouches, la veuve de Céline aujourd’hui âgée de 105 ans, et dont vous venez d’écrire une biographie, a décidé cette sortie pour des raisons strictement financières. Quelles sont les raisons de sa décision selon vous ?
04:25 Publié dans Entretiens, Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entretien, david alliot, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, céline, louis-ferdinand céline, pamphlets céliniens, antisémitisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Bulltetin célinien n°403
Sommaire :
Une réédition sous surveillance
Klarsfeld réclame l’interdiction des pamphlets
Un poème d’Auguste Destouches
Le docteur Clément Camus (2e partie)
Théâtre : La Ballade du soldat Bardamu.
Cette édition collective fera-t-elle problème ? Déjà le Conseil représentatif des institutions juives de France s’est dit hostile à cette initiative, considérant que cette réédition n’est rien d’autre qu’une « réhabilitation des idées nauséabondes de l’auteur de Voyage au bout de la nuit. » Francis Kalifat, président du CRIF, ajoute que son organisation restera vigilante quant à la mise en perspective historique ajoutée à cette réédition, tout autant qu’à la qualité de l’appareil critique. Quant aux célinistes, on sait qu’ils sont quasi tous favorables à cette réédition. En 1984, le BC avait notamment cité l’avis de Philippe Alméras, premier président de la Société d’Études céliniennes : « D’une part on a bien tort de donner à tout un secteur du corpus célinien l’attrait de l’interdit, d’autre part si cette pensée est aussi “bête”, “aberrante”, “incohérente” qu’on le dit, pourquoi ne pas l’étaler et la laisser se détruire toute seule ? ». Quant à Henri Godard, il estimait que « plus l’audience des textes disponibles en librairie s’accroît, plus il devient anormal que les mêmes lecteurs n’aient accès qu’en bibliothèque ou au prix du commerce spécialisé, aux écrits qu’ils trouvent cités, interprétés et jugés dans des travaux critiques » ¹. Dans un livre plus récent, il observait que l’amateur de Céline, découvrant aujourd’hui ces écrits polémiques, a inévitablement deux types de réactions : « Tantôt : je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir de telles horreurs. Tantôt : je n’imaginais pas qu’il y avait de si beaux passages, ou si drôles ². » Tout est dit.
Le Bulletin célinien a été fondé en 1981 par Marc Laudelout (n°0). D’abord trimestriel (1982, n° 1 à 4), il devient mensuel à partir de l’année suivante. Plus de 400 numéros ont paru depuis. Il s’agit du seul périodique mensuel consacré à un écrivain.
Écrire à Marc Laudelout
139 rue Saint-Lambert
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Belgique
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Sommaire :
- Entretien avec Guy Mazeline (1968)
– Automne 1932 : Céline et le Goncourt
– Dessinateurs de Céline
– Le retour de Lucien Rebatet
Jean Rouaud, titulaire d’une chronique hebdomadaire dans L’Humanité, a encore frappé ¹. « Tout ce qui est excessif est insignifiant » (Talleyrand). Dans le genre, Rouaud excelle, jugez en : « Concernant le nazi de Meudon [sic], il faut être sot ou de mauvaise foi, l’un n’empêchant pas l’autre, pour prétendre qu’une cloison étanche empêcherait la contamination des romans par les pamphlets. Comme si la forme était une enveloppe vierge, et non le gabarit d’une morale. On pourrait ainsi en toute impunité crier au génie pour les romans et à l’abomination pour les pamphlets ? De la littérature sous préservatif ? On a vu comment ce refoulé, soixante-dix ans après Auschwitz, avait refait surface. On a assisté à cette renaissance impensable, à la banalisation progressive des thèses du FN relayées par ses compagnons de déroute : Soral, Dieudonné, Buisson, Zemmour, Ménard, Wauquiez, la Droite forte, Sens commun, Causeur et les idiots inutiles. » Amalgame mirobolant qui met la sioniste Élisabeth Lévy, directrice de Causeur, dans le même camp (du Mal) que l’auteur de Bagatelles. Nul doute qu’elle appréciera ! Tout cela est tellement bouffon que je m’abstiendrai de commenter plus avant.
Cela étant, c’est sans doute l’occasion de souligner qu’en effet Céline constitue un bloc et qu’il est vain de vouloir dissocier les écrits dits « polémiques » du reste de l’œuvre. D’autant qu’à sa manière Voyage au bout de la nuit est aussi une satire. Et que dire de Féerie pour une autre fois qui est également une diatribe contre l’épuration et tous ceux qui, dans le petit monde littéraire, tenaient alors le haut du pavé ? Dont Claudel épinglé à la fois pour l’opportunisme de ses odes à Pétain, puis à de Gaulle, et pour son appartenance au conseil d’administration d’une société qui fabriquait pendant la guerre des moteurs d’avion pour l’Allemagne. Les romans de Céline ne sont donc pas “contaminés” par les pamphlets mais, étant l’œuvre du même auteur, reflètent peu ou prou ce qu’il pense. Devinette. De quel livre est extraite cette profession de foi contre le métissage : « Moi qui suis extrêmement raciste, je me méfie, et l’avenir me donnera raison, des extravagances, des croisements… » Bagatelles ? L’École ? Eh non, c’est dans D’un château l’autre. J’observe que, si Rouaud est sévère pour l’idéologue, jamais il ne se prononce sur l’artiste. C’est que, pour lui, l’un et l’autre se confondent. Un écrivain qui pense mal doit nécessairement être rejeté dans les ténèbres extérieures. Le raisonnement est d’un simplisme confondant : si un auteur a pu exprimer des idées “nauséabondes”, le style qu’il a utilisé est forcément délétère. Comme je l’ai déjà écrit ici, il eût été préférable, pour sa mémoire, que Céline – je ne cite que cet exemple – s’abstînt sous l’Occupation d’adresser des lettres-articles à des officines de délation, tel Au Pilori dont les rédacteurs suscitaient même le mépris d’un Cousteau ². Céline n’avait d’ailleurs aucune illusion sur l’intégrité de ces folliculaires mais considérait leurs journaux comme des “colonnes Morris” où il “coll[ait] une lettre”. Ce n’en est pas moins désolant. Mais cela relève du domaine moral et non du jugement esthétique que l’on doit porter sur une œuvre qui est, quoiqu’en disent ses contempteurs, essentiellement littéraire et non politique.
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Bulletin célinien, n°401, novembre 2017
Sommaire : Les souvenirs d’Hermann Bickler – Le docteur Clément Camus (1ère partie) – Un célinien au parcours étonnant – D’un château l’autre
Tous ces faits, et bien d’autres, sont rappelés dans une passionnante biographie de Berl qui est loin d’être complaisante.
• Olivier PHILIPPONNAT et Patrick LIENHARDT, Emmanuel Berl. Cavalier seul (préface de Jean d’Ormesson), La Librairie Vuibert, 2017, 497 p. (27 €)
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par Nicolas Bonnal
Ex: http://www.dedefensa.org
Lisons les Fleurs de Baudelaire moins bêtement qu’à l’école. Et cela donne :
Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel)…
On est dans les années 1850, au début du remplacement haussmannien de Paris. Baudelaire comprend ici l’essence du pouvoir proto-fasciste bonapartiste si bien décrit par son contemporain Maurice Joly ou par Karl Marx dans le dix-huit brumaire. Et cette société expérimentale s’est étendue à la terre entière. C’est la société du spectacle de Guy Debord, celle ou l’Etat profond et les oligarques se mêlent de tout, en particulier de notre « environnement ». C’est ce que je nomme la conspiration géographique.
La conspiration géographique est la plus grave de toutes. On n’y pense pas assez, mais elle est terrifiante. Je l’ai évoqué dans mon roman les territoires protocolaires. Elle a accompagné la sous-culture télévisuelle moderne et elle a créé dans l’ordre :
• Les banlieues modernes et les villes nouvelles pour isoler les pauvres.
• Les ghettos ethniques pour isoler les immigrés.
• La prolifération cancéreuse de supermarchés puis des centres commerciaux. En France les responsabilités du gaullisme sont immenses.
• La hideur extensive des banlieues recouvertes d’immondices commerciaux ou « grands ensembles » conçus mathématiquement.
• La tyrannie américaine et nazie de la bagnole pour tous ; le monde des interstates copiés des autobahns nazies qui liquident et recouvrent l’espace millénaire et paysan du monde.
• La séparation spatiale, qui met fin au trend révolutionnaire ou rebelle des hommes modernes depuis 1789.
• La décrépitude et l’extermination de vieilles cités (voyez Auxerre) au profit des zones péri-urbaines, toujours plus monstrueuses.
• La crétinisation du public et sa déformation physique (le docteur Plantey dans ses conférences parle d’un basculement morphologique) : ce néo-planton est en voiture la moitié de son temps à écouter la radio.
• La fin de la conversation : Daniel Boorstyn explique dans les Américains que la circulation devient le sujet de conversation numéro un à Los Angeles dans les années cinquante.
Dans Slate.fr, un inspiré, Franck Gintrand, dénonce l’horreur de l’aménagement urbain en France. Et il attaque courageusement la notion creuse et arnaqueuse de smart city, la destruction des centres villes et même des villes moyennes, les responsabilités criminelles de notre administration. Cela donne dans un de ses derniers textes (la France devient moche) :
« En France, cela fait longtemps que la survie du commerce de proximité ne pèse pas lourd aux yeux du puissant ministère de l’Economie. Il faut dire qu’après avoir inventé les hypermarchés, notre pays est devenu champion d’Europe des centres commerciaux. Et des centres commerciaux, ça a quand même beaucoup plus de gueule que des petits boutiquiers… Le concept nous vient des États-Unis, le pays des «malls», ces gigantesques espaces dédiés au shopping et implantés en banlieue, hermétiquement clos et climatisé. »
Il poursuit sur l’historique de cet univers totalitaire (pensez à Blade runner, aux décors de THX 1138) qui est alors reflété dans des films dystopiques prétendant décrire dans le futur ce qui se passait dans le présent.
La France fut ainsi recouverte de ces hangars et autres déchetteries architecturales. Godard disait que la télé aussi recouvrait le monde. Gintrand poursuit à propos des années soixante :
« Pas de centres commerciaux et multiples zones de périphérie dans «La France défigurée», célèbre émission des années 70. Et pour cause: notre pays ne connaissait à cette époque que le développement des hypermarchés (le premier Carrefour ouvre en 1963). On pouvait regretter l’absence totale d’esthétique de ces hangars de l’alimentaire. »
Le mouvement est alors ouest-européen, lié à la domination des trusts US, à la soumission des administrations européennes, à la fascination pour une fausse croissance basée sur des leurres (bagnole/inflation immobilière/pseudo-vacances) et encensée par des sociologues crétins comme Fourastié (les Trente Glorieuses). Dans les années cinquante, le grand écrivain communiste Italo Calvino publie un premier roman nommé la Spéculation immobilière. Ici aussi la liquidation de l’Italie est en marche, avec l’exploitation touristique que dénonce peu après Pasolini, dans ses si clairvoyants écrits corsaires.
En 1967, marqué par la lecture de Boorstyn et Mumford, Guy Debord écrit, dans le plus efficace chapitre de sa Société du Spectacle :
« Le moment présent est déjà celui de l’autodestruction du milieu urbain.L’éclatement des villes sur les campagnes recouvertes de « masses informes de résidus urbains » (Lewis Mumford) est, d’une façon immédiate, présidé par les impératifs de la consommation. La dictature de l’automobile, produit-pilote de la première phase de l’abondance marchande, s’est inscrite dans le terrain avec la domination de l’autoroute, qui disloque les centres anciens et commande une dispersion toujours plus poussée ».
Kunstler a très bien parlé de cette géographie du nulle part, et de cette liquidation physique des américains rendu obèses et inertes par ce style de vie mortifère et mécanique. Les films américains récents (ceux du discret Alexander Payne notamment) donnent la sensation qu’il n’y a plus d’espace libre aux Etats-Unis. Tout a été recouvert de banlieues, de sprawlings, de centres commerciaux, de parkings (c’est la maladie de parking-son !), d’aéroports, de grands ensembles, de brico machins, de centrales thermiques, de parcs thématiques, de bitume et de bitume encore. Voyez Fast Food nation du très bon Richard Linklater.
Je poursuis sur Debord car en parlant de fastfood :
« Mais l’organisation technique de la consommation n’est qu’au premier plan de la dissolution générale qui a conduit ainsi la ville à se consommer elle-même. »
On parle d’empire chez les antisystèmes, et on a raison. Ne dit-on pas empirer ?
Je rappelle ceci dans mon livre noir de la décadence romaine.
« Pétrone voit déjà les dégâts de cette mondialisation à l’antique qui a tout homogénéisé au premier siècle de notre ère de la Syrie à la Bretagne :
« Vois, partout le luxe nourri par le pillage, la fortune s’acharnant à sa perte. C’est avec de l’or qu’ils bâtissent et ils élèvent leurs demeures jusqu’aux cieux. Ici les amas de pierre chassent les eaux, là naît la mer au milieu des champs. En changeant l’état normal des choses, ils se révoltent contre la nature. »
Plus loin j’ajoute :
Sur le tourisme de masse et les croisières, Sénèque remarque :
« On entreprend des voyages sans but; on parcourt les rivages; un jour sur mer, le lendemain, partout on manifeste la même instabilité, le même dégoût du présent. »
Extraordinaire, cette allusion au délire immobilier (déjà vu chez Suétone ou Pétrone) qui a détruit le monde et son épargne :
« Nous entreprendrons alors de construire des maisons, d’en démolir d’autres, de reculer les rives de la mer, d’amener l’eau malgré les difficultés du terrain… »
Je laisse Mumford conclure.
« Le grand historien Mumford, parlant de ces grands rois de l’antiquité, parle d’une « paranoïa constructrice, émanant d’un pouvoir qui veut se montrer à la fois démon et dieu, destructeur et bâtisseur ».
Bibliographie
Bonnal – Les territoires protocolaires ; le livre noir de la décadence romaine ; les maîtres carrés
Debord – La société du spectacle
Kunstler – The long emergency
Mumford – La cité dans l’histoire (à découvrir absolument)
02:25 Publié dans Architecture/Urbanisme, Littérature, Réflexions personnelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : architecture, urbanisme, nicolas bonnal, baudelaire, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, réflexions personnelles, paris, france | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le n°400 du Bulletin célinien
Sommaire : L’art de l’annonce chez Denoël – Bouquet pour le 400e – Un flâneur épicurien et lettré.
Tel quel, le Bulletin se veut un lien régulier avec ceux que l’on appelle les « céliniens ». Qui ne sont pas tous « célinistes », ce terme désignant en principe ceux qui travaillent sur le sujet qu’ils soient universitaires distingués ou amateurs éclairés. Que cela soit pour moi l’occasion de rendre hommage à la petite cohorte de pionniers : Nicole Debrie, Jean Guenot, Marc Hanrez, Dominique de Roux (†) et Pol Vandromme (†). Lesquels ont précédé la deuxième vague composée de Philippe Alméras, Jean-Pierre Dauphin (†), François Gibault, Henri Godard (fondateurs en 1976 de la Société d’Études céliniennes), Alphonse Juilland (†), Frédéric Vitoux, Henri Thyssens, Éric Mazet et quelques autres. Depuis lors, la vision que le public a de Céline s’est dégradée avec la parution d’ouvrages ayant pour but d’en faire un propagandiste stipendié. Si son importance littéraire n’est généralement pas remise en question, le portrait diffamant que l’on fait de l’écrivain n’est pas sans conséquence. Dans la bibliographie célinienne – devenue mythique à force de voir sa parution reportée – qu’Arina Istratova et moi finalisons, nous observons la baisse de travaux universitaires à lui consacrés. C’est qu’il devient périlleux de prendre Céline comme sujet de thèse (ou d’en assurer la direction) tant il apparaît aux yeux de certains comme éminemment sulfureux. Jean-Paul Louis, éditeur de la revue L’Année Céline, fustige à juste titre ceux qui veulent « mettre au pas le créateur coupable de déviances et d’expressions trop libres ». Le rêve inavoué étant de « l’exclure de l’histoire littéraire » ¹. Pour cela, certains détracteurs n’hésitent pas à minorer sa valeur. Et posent cette question insidieuse : « Pourquoi l’œuvre de Céline, contrairement à celles de Chateaubriand, de Balzac, de Flaubert ou de Proust, n’a-t-elle pas attiré de grands spécialistes universitaires, pourquoi a-t-elle été négligée par les critiques de haut vol ? ² » Poser la question c’est y répondre. Dans le sérail universitaire, se vouer à Céline suscite ipso facto la suspicion même si l’on affiche un brevet de civisme républicain. Henri Godard, pour ne citer que lui, en sait quelque chose ³.
N’en déplaise à ses contempteurs, l’œuvre de Céline est considérable. Assurée d’une postérité inaltérable – même si elle pourrait dans l’avenir être moins lue qu’aujourd’hui –, elle défie les siècles à l’égal de celle d’un Rabelais.
19:19 Publié dans Littérature, Revue | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : revue, littérature, littérature française, lettres, lettres françaises, france, céline, marc laudelout | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Michel Lhomme, philosophe, politologue
Ex: https://metamag.fr
Arnaud Bordes, l’excellent éditeur Alexipharmaque a annoncé cet été le décès d’un écrivain discret d’origine espagnole, disciple d’Ortega y Gasset, David Mata.
Nous avions, pour notre part, particulièrement apprécié ses courts récits comme Violaine en son château, Hermann ou Les solistes de Dresde. Violaine est proprement autobiographique et nous raconte l’histoire d’un jeune homme autodidacte de modeste famille à l’entrée de la vie fasciné par le latin et une jeune châtelaine. Il se dégage du livre une atmosphère à la Fournier mais nous ne sommes pas ici dans les brumes aquatiques de Sologne mais dans le relief parfois asséché de la région de Tarbes qui confère justement à la langue de Mata un romantisme abrupt.
Les Solistes de Dresde est une charge contre l’art contemporain qui nous rappelle les thèses d’un autre grand timide, Kostas Mavrakis dont on attend avec impatience le prochain ouvrage sur la civilisation.
Hermann est sans doute la meilleure promenade virgilienne que l’on puisse faire en Gasgogne.
David Mata est demeuré inconnu et discret toute sa vie, un écrivain clandestin mais sans doute le souhaitait-il, lui-même. Il avait raison. Comme d’autres, nous pensons au poète André Coyné. Il rejoindra cette cohorte ésotérique d’érudits qui ,n’en déplaise à certains, se transmet dans l’ombre par des éditeurs éclairés ou des revues d’avant-garde (Eléments, Livr’arbitres) et qui constituera toujours la vraie littérature et pas celle des 581 romans de la rentrée dont une grande partie finira au pilon sans même avoir été lus.
Pour lire David Mata, cliquer ICI
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Les éditions du Lore viennent de publier un essai de Jean-Louis Lenclos intitulé Les idées politiques d'Henry de Monfreid. Une façon de redécouvrir sous un angle nouveau l’œuvre de l'auteur des Secrets de la Mer rouge , de La croisière du hachich ou de Mes vies d'aventure.
Pour commander l'ouvrage:
http://www.ladiffusiondulore.fr/recherche?controller=sear...
Cet ouvrage inédit présente le mémoire universitaire de droit soutenu par Jean-Louis Lenclos en octobre 1977, sous la direction du Professeur De Lacharrière, à l’université de Parix X- Nanterre.
Lorsqu’on consultait les proches d’Henry de Monfreid, ils répondaient invariablement : « il n’avait pas d’idées politiques, cela ne l’intéressait pas ; c’était un Aventurier ! »
Contrairement à divers fantasmes colportés, Henry de Monfreid ne fut à aucun moment cet individu louche, dénué de sens moral et de scrupules que recouvre habituellement ce terme d’aventurier.
En se penchant méticuleusement sur son œuvre littéraire prolifique, ce livre explore les idées politiques bien tranchées d’Henry de Monfreid.
Certaines de ses idées sont à rapprocher des penseurs traditionalistes tels que Louis de Bonald ou Joseph de Maistre, mais aussi Nietzsche par certains aspects.
Par ailleurs, Henry de Monfreid semble acquis à l’idée de hiérarchisation des races humaines. Plus surprenant, il vécut une extase quasi-religieuse en la présence de Mussolini…
Cette étude très bien documentée vous fera découvrir les grandes lignes politiques d’un homme qui considérait l’homme comme une créature foncièrement mauvaise et qui n’eut de cesse de s’affranchir des servitudes humaines. "
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par Alexis Martinot
Ex: http://www.zone-critique.com
Délivré du catholicisme, Michel s’affirme et développe une philosophie nietzschéenne radicale et antichrétienne, tout en restant proche de ses deux amis. L’heure de la séparation entre Régis et Anne-Marie approche et cette décision se révèle absurde pour elle. Régis devient de plus en plus dogmatique et reste ferme à l’égard de son engagement. Anne-Marie découvre qu’elle n’est pas prête pour cette séparation, que cette dernière ne peut venir de la volonté de Dieu, qu’elle va à l’encontre du bon sens amoureux. Influencée par Michel, elle perd sa foi. Elle finit par s’offrir à lui, mais la nostalgie de Régis et de Dieu la rattrape : elle se révèle incapable de trouver sa place dans ce monde désenchanté. Le christianisme est une « drogue » dit-elle : « j’en ai pris une trop forte dose, je ne m’en remettrai jamais. »
Le crépuscule de Dieu
Sacrifiant son amour et sa plus grande amitié, Régis s’enferme orgueilleusement dans le dogme catholique. Anne-Marie, orpheline de sa foi, sombre dans la débauche et l’avilissement. D’abord mystique, l’évolution de ce personnage révèle l’écart problématique entre une foi sincère et l’organisation de la religion sur terre. Michel trouve la seule issue possible dans le salut par l’art, la création de la grande œuvre. Il symbolise l’individualisme dans ce qu’il a de plus noble, c’est-à-dire la connaissance et le développement de soi. Mais cette réponse élitiste ne s’applique qu’à ceux de « la grande race » dans laquelle il se reconnaît. Le reste des hommes est condamné au désespoir ou à l’aveuglement, en tout cas ce roman annonce la difficulté pour l’homme de notre temps de donner un sens à son existence. Le destin de ces trois personnages illustre le désenchantement du monde et l’impossibilité de croire en Dieu à une époque charnière où il n’était pas tout à fait mort. Si Michel ne nie pas le désir de Dieu de chaque être humain, il constate que les religions ont brouillé le chemin entre l’homme et Dieu en organisant la spiritualité par des dogmes nihilistes, dans le sens où ils nient la nature humaine : « Les hommes ont détruit le sacré, ce pont qui rapproche les hommes au sein du monde. »
Le destin de ces trois personnages illustre le désenchantement du monde et l’impossibilité de croire en Dieu à une époque charnière où il n’était pas tout à fait mort.
La passionnante bataille philosophique qui oppose Michel à Régis, c’est celle de Nietzsche contre les derniers spasmes du catholicisme français. Mais le roman se garde de n’être qu’un vulgaire roman à thèse. Même s’il a été conçu comme « une machine de guerre contre le christianisme », il n’en ressort aucune vérité universelle : les deux idéologies sont le reflet et la continuité logique de la nature des personnages. Régis a ressenti l’appel de Dieu, il peut ainsi s’offrir tout entier, les yeux fermés, au dogme chrétien. Pessimiste, en quête de réponses et vierge de tout appel divin, Michel se plonge dans la littérature chrétienne, il en dégage les incohérences et les failles intellectuelles : son esprit critique l’empêche d’embrasser la foi. Néanmoins, Rebatet reste sans pitié avec le christianisme : il en donne une image effroyable, ignoble car incompatible avec la nature humaine et la beauté artistique. La laideur des églises, la perversité des prêtres et l’orgueil de Régis laissent le sentiment que seule une révolution nietzschéenne des valeurs permettra de vivre dignement dans ce monde désenchanté.
La voix d’un immense écrivain
Les grands écrivains sont sans doute ceux qui ressemblent le moins à des hommes de lettres : ce sont les inclassables, les ovnis qui semblent survoler la littérature. Rebatet est assurément un des leurs. Son œuvre se déploie sur trois domaines : la littérature avec Les Deux Étendards et Les Épis Murs, la politique avec son violent pamphlet antidémocratique et antisémite Les Décombres, et la critique d’art, avec sa prodigieuse Histoire de la musique et ses quelques 8 000 articles culturels publiés de son vivant, traitant de cinéma, de peinture, de littérature et de musique. Cette immense et éclectique culture transparaît dans le style splendide des Deux Étendards : il y a du cinéma dans les dialogues, dans les subtiles raccords entre les scènes, de la peinture dans les fines descriptions de Lyon, de Paris, ou simplement dans le portrait d’une jeune fille, il y a aussi de la musique dans la construction narrative de l’histoire, en témoignent les titres de certains chapitres (« Ouverture provinciale » ou « Staccato »). La critique a souvent rapproché ce roman des opéras de Wagner, auxquels assistent d’ailleurs les personnages des Deux Étendards. Les correspondances sont effectivement nombreuses : on pense à Lohengrin devant l’impossibilité d’Anne-Marie de communiquer avec Dieu, à Tristan aussi, avec le thème de l’amour impossible. Si l’on sent dans certains passages les influences de Stendhal, Balzac et Proust, Rebatet s’est aussi et surtout inspiré des peintres, des musiciens et des cinéastes qu’il vénérait.
Ce roman a été écrit en grande partie en prison, alors que son auteur, au fond d’une sale et sordide cage, redoutait chaque matin son exécution.
Son tour de force est d’avoir su maintenir une extraordinaire verve tout au long du roman, en variant les tons, les motifs et les couleurs : en alternant la narration, avec un narrateur interne ou externe, des monologues intérieurs, des extraits de carnet intime, des lettres, on passe aisément d’une violente critique antibourgeoise à une description psychologique pleine de finesse ou à des passages d’un érotisme inoubliable, le tout en disséquant à l’extrême les grands sentiments humains : l’amour, l’amitié, la spiritualité, l’émotion esthétique. Heureusement pour nous lecteurs, ce roman a été écrit en grande partie en prison, alors que son auteur, au fond d’une sale et sordide cage, redoutait chaque matin son exécution. Les condamnés à mort jouissaient du curieux privilège d’avoir une lampe allumée dans leur cellule nuit et jour, Rebatet en profitait pour écrire sans relâche. C’est sans doute cette condition qui a donné au roman toute sa puissance, car c’est tout un monde vivant, profond et torrentiel que l’on quitte lorsque l’on referme ce livre.
Alexis Martinot.
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par Nicolas Bonnal
Ex: http://www.dedefensa.org
Tout le monde a souligné à foison leur ressemblance. Or j’avais signé aux Belles Lettres en 2008 un contrat sur Boris Vian et notre modernité. Je vivais alors dans la Bolivie de mon cher Evo Morales, plus précisément à Sucre (et dans le Gran hôtel de Che Guevara qui plus est, un trois étoiles à neuf euros), et malheureusement l’Alliance française du coin de la rue n’avait pas un seul exemplaire de l’œuvre du maître ! Le web était moins riche que maintenant et je n’honorai donc pas mon contrat. Et comme on ne versait plus d’à-valoir…
J’ai tout de même retrouvé quelques textes, et je les donne à mes lecteurs préférés...
"On est curieusement entrés dans l'ère de l'écume des jours"
De l'écume des jours ? Oui, celle de Boris Vian, qui se résume à deux axes, par-delà les provocations verbales du petit maître oublié : les gens deviennent puérils, ludiques, et l'espace, l'espace vital surtout se rétrécit.
Comme nos contemporains, les "adulescents" de Vian sont très ludiques ; ils sont aussi techno-dépendants, rêvent de pianocktail et de patinage ; ils ne sont pas très sexués et ils ne sont pas, mais alors pas du tout politisés. Ils rêvent d'être des ignares, et d'ailleurs on va tuer le Jean-Sol Partre national (ah, nos intellos rive gauche !) pour bien marquer ce rêve américain. On rêve de jazz et de négritude, comme aujourd'hui de rap et d’exotisme cheap. Avec ces certitudes, on ignore où l'on est, on ignore même si l'on est. Vian a célébré le modèle du jeune con, qui allait vieillir un beau jour (le jeune, pas le con). Et on a fait de cela le modèle du progrès, du moderne, de la jeunesse, de la mode. Imaginez les héros de Boris Vian avec cinquante de plus, et vous avez les retraités d’aujourd’hui…
Mais surtout, parce que l'histoire de la bêtise prendrait trop de place, il y a une diminution d'espace. Lorsque la pauvre Chloé devient malade, l'appartement commence à diminuer. J'ai évoqué ironiquement l'odyssée de l'espace, où d'ailleurs on voit les cosmonautes mener des vies considérablement médiocres ; mais cette odyssée est devenue une descente aux abysses. L'individu post-historique est surtout post-spatial, il n'a pas de maison, pas d'appartement ; ou bien il a trois fois moins de place que son grand ancêtre de la Nouvelle Vague (sur ce sujet j’ai bâti mon roman décalé comme on dit, et onirique), et il lui faut travailler pour rembourser, ou plutôt vivre pour rembourser, puisque le travail ne suffira pas, qu'il sera toujours moins rétribué, quand ses études auront été inutilement rallongées. Il faut 500 mois de SMIC pour acheter un deux-pièces dans notre beau Paris.
La diminution d'un espace vital n'est pas sans effet : on a réduit l'espace habitable depuis Thatcher et aussi –surtout – depuis l'euro, et les gens se sont calmés. Ils ont été réduits à la portion congrue, réduits en part de marché, réduits à la merci de l'ennemi. Dans une société où l'on peut plus respirer, se loger, fumer en discutant, ou discuter en fumant, se garer, se déplacer, s'exprimer, on se doute que la possibilité de changement radical, si elle venait encore à l'esprit de quelques-uns capables de structurer leur pensée, serait de facto impossible à exécuter ».
Je rajoute ce texte de célébration du triste maître de ma jeunesse giscardienne :
Il y a cinquante ans mourait Boris Vian. A bien des égards la présence de cet auteur s’est faite discrète, d’autant que les temps qui courent souvent trop vite ont tendance à oublier jusqu’à leurs pères. Pourtant, Boris Vian fait partie d’un patrimoine bien vendu, mais qui ne s’est jamais internationalisé ou même exporté, ni sous la forme de chansons ni sous celle de romans.
Boris Vian c’est la douceur de vivre des années 50, l’intrusion de la sacro-sainte modernité dans la France dite moisie, le sens de l’humour et de la générosité, le refus de tous les chauvinismes et de toutes les intolérances... C’est aussi le sens de l’amour et de la légèreté, la célébration de la jeunesse et de la nouveauté.
La société médiatique adore se célébrer : espérons qu’elle saura célébrer Boris Vian, car elle lui doit beaucoup. Vian a été en effet le prophète de la révolution culturelle qui a fait de la vieille mère des arts, des armes et des lois cette fille de Marx et de coca-cola, du fast-food et de Canal +. Vian, sans le vouloir, partout où il a mis le doigt, l’a bien mis. Il a fait un sans-faute dans son œuvre, la plus sérieuse comme la plus décalée, la plus tragique comme la plus dérisoire pour ajourner la France et la mettre à la hauteur de la modernité. Mais la France est fatiguée : aussi userons-nous du terme de surmodernité pour exprimer cet état de dépression satisfaite dans laquelle se trouve le pays. Il y a en effet un double enjeu chez Vian : un enjeu euphorique et un enjeu dramatique.
Il y a une dizaine d’années, nous pouvions encore sans rire évoquer ou dénoncer une exception française ; exception que Marc Bloch avait définie ainsi : nous nous reconnaissons aussi bien dans le sacre de Clovis que dans la Fête de la Confédération. La France de gauche comme la France de Droite aimait ses lieux de la mémoire, ses petites fêtes, son 14 juillet, sa Jeanne d’Arc, sa colline inspirée, ses faubourg Saint-Antoine.
Avec Boris Vian, c’est tout cet apanage qui a disparu. On entra dans un procès de déculturation totale, d’américanisation-dépression avec un rejet complet de sa culture et de sa civilisation. Nous y reviendrons.
Vian a réglé ses comptes ou plutôt ses contes avec une France du passé et dépassée qu’il détestait. Il l’a fait avant beaucoup d’autres, et nous l’avons tous suivi.
Nous naviguerons entre américanisation et dépression. Comparez la bonne humeur pornographique d’On tuera tous les affreux (un ex-savant nazi fabrique des modèles nymphomanes et des politiciens sur une nouvelle île du Dr Moreau) à l’atmosphère grise et française de l’arrache-cœur, de l’herbe rose ; comparez ce refus empathique de la petite France profonde et de son clocher fatidique à l’adoration de la grande agglomération yankee et polluée, bourrée de limousines, de gros bras et de filles délurées – et puis vous comprendrez pourquoi ces Français soi-disant exilés à Chicago (764 morts pour ce qui va de cette année) ont voté pour le candidat des supermarchés et du progrès sociétal. Attendez-vous à une réduction de mètres (maîtres) carrés et à une énième révolution culturelle comme celles que promouvait Vian dans ses chansons dérisoires.
Les petites chansons ont certes vieilli car elles étaient de piètre qualité, comme les romans sauce surréaliste, mais elles donnaient l’inspiration du jour et à venir : le changement de sexe (bourrée de complexes !), la complainte du progrès avec le partage des biens (ah, Gudule, écoute-moi…) entre divorcés-remariés, et toute cette entropie de bistrot branché qui nous préparait à la culture détonante de Canal+ et de l’ère bobo. Le slogan de l’arche Delanoë était d’ailleurs de changer d’ère. Vian nous aurait concocté une laide chanson sur les Google babies vendus aux couples LGBT, conçus en Israël et incubés en Inde par des mères porteuses payées trois dollars. Avec le fou rire.
Un dernier mot : le mutant de la gauche libérale et sociétale a écrit une chanson nommée le déserteur. Or c’est bien ce qui résume notre époque. La France est devenue un pays de déserteurs, la France, comme tant d’autres pays occidentaux aussi, est un pays de désertion (revoyez les films de Godard, Tati, Risi et Fellini pour l’Italie pour analyser ce que je veux dire). Cela n’empêchera pas de faire la guerre nucléaire pour Soros et les oligarques humanitaires.
Le cas Vian confirme en tout cas que le Macron-cosmos va naviguer à 80-85% de satisfaits, car vous n’imaginez pas ce qu’on peut faire du peuple français…
L’écume des jours ; l’arrache-cœurs ; et on tuera tous les affreux ; chansons
Bonnal – les maîtres carrés (roman héroï-comique)
09:28 Publié dans Réflexions personnelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas bonnal, boris vian, emmanuel macron, france, actualité, europe, affaires européennes, lettres, lettres françaises, littérature, littérature française, présidentielles françaises, élections françaises | | del.icio.us | | Digg | Facebook